Départ de Guillaume

Dimanche 31 août – Lundi 1er septembre

A l’heure où j’écris ces lignes, Guillaume est probablement plongé dans les révisions de son polycopié de mathématiques, à 33000 pieds d’altitude, quelque part au dessus du Golfe du Mexique. Quelques épreuves l’attendent : le cyclone Gustav, qui a eu la mauvaise idée de venir se loger pile entre Guate et New York ; puis 19 heures d’attente dans un aéroport New Yorkais ; suivront 6 jours et 6 nuits de révisions intenses, et une pâle abominable. Autant dire qu’il n’était pas enchanté à l’heure de quitter le Guatemala.
A vrai dire, son départ m’angoisse, et ce pour au moins deux raisons. Tout d’abord, je me retrouve un peu seul aux commandes, avec encore pas mal de boulot et la peur de tout faire foirer. Heureusement, Tania arrive dans deux jours. Ensuite, je vais désormais devoir subir les attaques incessantes des moustiques, parce qu’étrangement, Guillaume, c’était un peu mon bouclier humain, mon électrode sacrificielle.

Dimanche et lundi auront été marqués par les « dernières fois » de Guillaume. Le matin, dernière réunion de remise de prêts, à Chiche, avec Joaquin. Nous nous y rendons en bus puis en tuc-tuc ; Joaquin déploie tous ses talents de négociateur pour faire tomber le prix de 20 à 15 quetzals… La réunion débute rapidement, Guillaume déroule son discours désormais bien rôdé. Nous sommes surpris de la réactivité des hommes et du mutisme des femmes des deux groupes, car dans la plupart des réunions ce sont souvent les femmes qui sont les plus attentives et qui posent des questions. Ici, les gens sont bien plus riches que nombre de nos clients, ils ont d’ailleurs prévu de rembourser en six mois. Au moment ou Guillaume explique pourquoi nous ne voulons pas de projets d’engraissage de taureaux (trop gros, trop lent, trop peu rentable, temps de travail nul), un des gars nous rétorque qu’il sait engraisser ses vaches en deux mois, en les maintenant immobiles et en les nourrissant correctement. « Ganancia » : 1000 qz en deux mois, presque un record pour un projet agricole. Nous prenons note ; il faudra sans doute financer le projet de vache de ce mec dans six mois.
Au retour, c’est le dernier tuc-tuc de Guillaume. Nous revenons avec Joaquin sur le dynamisme des hommes. Pour lui, c’est le simple fait du machisme : la femme se tait quand l’homme est là. Dans d’autres aldeas plus pauvres, la survie économique du ménage repose beaucoup plus sur les épaules de la femme, plus responsable mais aussi plus émancipée. D’où l’idée de Guillaume d’organiser systématiquement deux réunions, une pour les hommes et l’autre pour les femmes.
A Santa Cruz del Quiche, nous retrouvons José, avec qui nous déjeunons et discutons du fonctionnement de l’association pour l’année à venir. Nous parlons en particulier de Joaquin, nous ne savons toujours pas s’il souhaite continuer avec nous, même si nous ne nous faisons guère d’illusions à ce sujet. Heureusement, José a quelques solutions en tête. Nous lui expliquons aussi que nous voulons l’impliquer fortement dans la définition de la politique générale de l’institut. C’est normal car nous allons tendre à terme vers un institut co-administré par les français et les guatémaltèques, mais ça va nous rajouter encore pas mal de boulot, ne serait-ce que pour traduire les rapports de politique générale en espagnol.
L’après midi, c’est la dernière réunion de présentation de Guillaume, devant un groupe de 4 personnes de Quiché. Assis sur un trottoir, nous sommes finalement chassés par la pluie. L’essentiel du message est cependant passé, et nous avons laissé cinq sollicitudes. Nous faisons un dernier passage par la maison de José pour dire adieu à toute la famille. En rentrant au café internet, nous craquons pour deux énormes parts de gâteau à la fraise. Prix : 0,95 euros pièce.
A peine le temps de rassembler les affaires, Miguel est déjà là. Il est passablement éméché, il a bu 6 bières lors du baptême de son frère. Heureusement, ce n’est pas lui mais son neveu Mario qui conduit durant le dernier trajet Quiche-Guate de Guillaume. Ca a d’ailleurs failli être le dernier trajet de Guillaume en voiture tout court, parce que Mario conduit comme un taré, en pleine nuit et sous la pluie. Miguel, assis à la place du mort, ne bronchera pas ; il lâchera juste un petit « tu m’as fait peur ! » dans la descente sur Guate, où un dépassement de camion dans un virage, mal négocié, a fini en dérapage.
Nous arrivons tous en vie à la maison de Miguel, qui est en plein travaux : une dalle de béton a été coulée, bientôt la cuisine déménagera à l’étage et jouira d’une vue spectaculaire sur la ville. Pour l’instant, c’est notre lit qu’on installe sur la dalle coulée il y a moins de 24 heures. Ca a l’air de tenir. Nous mangeons, Guillaume déguste ses derniers frijols en silence, il est assez fatigué je crois. Avant de nous coucher, nous aidons l’un des fils de Miguel à résoudre un problème de maths : « Un arc de parabole, dont le sommet est en haut, mesure 20 mètres de haut et 36 mètres de large à la base. A quelle hauteur a-t-on 18 mètres de largeur ? » Réponse : 15 m. La démonstration est laissée au lecteur.


La dernière nuit de Guillaume au Guatemala s’est bien passée, la dalle a tenu bon. Guillaume n’a pas été réveillé comme, à 3h57, par l’ensemble des coqs du voisinage, qui se sont mis à chanter de concert. Ou peut-être ai-je rêvé cet épisode. Après le petit déjeuner et une douche froide assez longue, je reçois les dernières consignes de Guillaume, qui s’en va vers 10 heures pour l’aéroport. Son vol est à 14 heures, mais mieux vaut être prudent avec les horaires au Guatemala.
Je reste seul à travailler à la maison, Miguel étant déjà parti au bureau. Je finis de rédiger les contrats des responsables de Chicamán, Uspantán et Ixtahuacan, ainsi que pas mal de paperasses en tous genres, j’imprimerai tout demain. Un coup de fil à Marcos m’apprend qu’il y a deux nouveaux groupes à Ixtahuacan, ça fait plaisir de l’apprendre à moins de quatre jours de la distribution des prêts… La défection d’Ixtahuacan sera au final moins sévère que prévue, mais on est encore loin du compte. Les sollicitudes doivent arriver ce soir à Guate, elles devraient être en tous points identiques à celles que nous avons déjà : 4 personnes par groupe, 4000 quetzals, 8 chèvres gérées en commun. Il va falloir encore travailler un peu pour leur expliquer que nous voulons faire des prêts individuels pour des projets individuels. Tout en faisant attention à ne pas détruire le lien social.

La maison est assez déserte et tranquille, pourtant j’aurai mis un temps fou pour rédiger ce carnet de bord. Je mesure mieux l’effort que ça a dû représenter chaque jour pour Guillaume.

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