Analyses difficiles

Lundi 28 juillet


Hier Benjamin s’en est allé. Je resterai seul pendant une vingtaine de jours jusqu’à l’arrivée de Sylvain. C’est quand même très agréable d’être deux quand on arrive dans ce pays où vraiment tout est différent. Maintenant que je me suis accoutumé à la vie locale, être seul ne pose pas vraiment de problèmes. Du coup, hier fut une journée emplie de repos, c'est-à-dire de lecture et d’écriture. Ce qui a surpris un peu la famille. J’en discutai avec Miguel, lui ne lit pas car c’est une activité qui requiert la solitude et qu’il aime trop être entouré de sa famille. Et quand il doit travailler, il faut qu’il soit seul et sans bruit pour pouvoir mieux se concentrer. J’ai compris : pas la peine de lui demander un compte rendu écrit mensuel et de l’envoyer par internet, ce n’est pas dans ses cordes. De toute façon on l’avait compris. Je refuse d’aller à la messe, j’irai une autre fois par curiosité, là je suis fatigué. Je ne sais pas trop si c’est un manque de savoir-vivre que de n’y être pas allé et de dire que je n’ai pas de religion. Apparemment ça ne choque pas trop et on ne me questionne pas trop sur mes croyances, on me laisse tranquille.

Comme Candelaria a des examens toute la semaine et que je ne l’ai pas vu travailler, je demande, dans un double but d’embêter la demoiselle et de m’informer sur les règles familiales, si les enfants étudient en dehors des cours. Miguel me donne une réponse du type : « Je leur dis bien qu’il est important d’étudier, mais après c’est leur vie et ce sont eux qui doivent se bouger pour étudier ». Enfin, je n’ai pas l’impression qu’une culture vraiment forcenée de l’éducation soit à l’œuvre ici. On leur apprend d’abord à jouer avec toute la famille, la présence permanente d’enfants de moins de 5 ans qui forcément font tourner le monde autour d’eux n’aide pas. On apprend ici plus à jouir de ses chaînes qu’à s’en défaire. Le Cyrillo d’Uspantan m’avait paru vraiment plus déterminé sur l’éducation de ses enfants.

Enfin revenons à nos moutons, c'est-à-dire la journée d’aujourd’hui. Miguel a forcément beaucoup de choses à faire après une semaine d’absence. J’essaye de négocier un peu de son temps pour planifier la suite, évaluer avec lui l’attitude de Concodig cette année et téléphoner à José. Ce sera un échec aujourd’hui mais j’ai quand même beaucoup préparé le terrain pour une évaluation du travail de Miguel et pour obtenir les relevés du compte. En échange, je met sur ordinateur le travail effectué la semaine dernière et vérifie avec les contrats tout ce qu’on a pu nous dire la semaine passée.
J’avais informé Armando de nos quelques observations, il m’a donc répondu par un mail assez incendiaire vis-à-vis de Miguel et pas non plus diplomatiquement correct à notre égard. Je pense que ça ne lui a pas plus qu’on incendie Cristobal, et il nous le fait comprendre. De toute façon, je lui réponds que j’irai parler à Cristobal, ce qui de toute façon est prévu et lui explique d’un mail doux les raisons pour lesquelles Marcos et Miguel se méfient un peu de Cristobal en ce moment. Enfin, c’est la deuxième fois cette année qu’Armando m’allume cette année et je pense qu’il a clairement moins confiance en moi qu’en Loïc. Bon.
Je commence par Ixtahuacan et forcément, je suis assez déçu par notre travail. Nous n’avons posé qu’une faible partie des questions prévues. Et comme nous ne connaissions pas bien les dossiers, nous n’avons pas pu demander aux gens pourquoi ils n’avaient pas suivis le contrat, ni même vérifier qui ils étaient dans nos dossiers. Résultat : non seulement nous n’avons pas fait remarqué aux gens qui avaient acheté une vache qu’il était prévu une chèvre, mais en plus trois personnes que nous avons interrogées sont introuvables dans nos dossiers. Travail de sagouins. Enfin, nous écrirons une méthodologie à suivre pour les années suivantes. En attendant, nous demanderons quelques informations à Marcos pour régler cette affaire. Heureusement Ixtahuacan est la communauté la mieux gérée.

Miguel est tellement occupé que je ne mange pas avec lui et commence à effectuer le même travail pour Chicaman que pour Ixtahuacan. Nous rentrons ensuite ensemble, petite journée de travail, moins excitante que la semaine dernière, mais tout aussi nécessaire. La soirée sera tout aussi tranquille, faite de simples discussions avec la famille.

Repos des lecteurs

Samedi 26 Juillet


Après ces journées longues et chargées, un petit peu de repos pour les yeux de ceux qui me lisent en une fois. Le matin, nous nous levons le plus tard jamais vu dans cette famille guatémaltèque : 8h. Après un peu de déjeuner, de lavage de voiture, nous expérimentons le lavage au tonneau d’eau. Nous en profitons pour apprendre que l’eau ici est ouverte de 6 à 8h du matin, une heure dans l’après-midi et également 3h le soir. C’est le forfait. Entre ces horaires, les gens fonctionnent sur leurs réserves qui ne sont bien sûr pas branchées sur le circuit d’alimentation en eau de la maison, mais sur un circuit à part, qui arrive dans un bac. De ce bac, on remplit un tonneau d’eau, puis avec des petits récipients, nous pouvons nous laver. Et en fait, c’est clairement plus agréable que la douche froide. Un café internet nous attend ensuite pour envoi de divers mails et remplissage de blog, et nous mangeons.

L’après midi est consacré à quelques courses, nous faisons la cuisine ce soir pour la famille locale, menu : steak tartare et steak, parce qu’ils ne mangent bien sûr ni de viande crue, ni de viande rouge. Ici la viande se mange bouillie. Puis, pour qu’ils puissent quand même manger, un classique gratin dauphinois (attention, c’est assez galère ici de trouver du fromage râpé) et une salade en entrée. Nous essayons ensuite de retirer beaucoup d’argent, mais impossible de trouver un distributeur qui nous permette de retirer plus de 2000Qz. Ce qui saoûle, étant donné qu’il y a 7€ de frais fixes de retrait. Pas moyen de retirer beaucoup d’argent à une banque non plus, Miguel nous disant qu’en cas de gros retraits, le banquier informe des amis qui nous rackettent à la sortie. Nous allons donc transférer de l’argent sur le compte de Miguel, là nous pourrons retirer en de multiples fois sans frais. De toute façon, j’ai prévu de plus ou moins prendre le contrôle du compte de Miguel lundi.

Nous passons donc la soirée à faire un petit peu de cuisine et à regarder avec beaucoup de plaisir les gens essayant d’approcher de leur bouche de la viande rouge ou crue. Je suis un peu déçu, ils ont l’air d’aimer les deux. Le gratin dauphinois, qui est la chose la plus facile à faire au monde, peu chère, et typiquement française à un franc succès.
Nous allons ensuite jouer au foot, de nuit, à Guatemala Ciudad. Il y a un terrain niquel à 200m de la maison, éclairé avec des grillages et filets sans trous. L’heure de foot est de 100Qz : dans ce pays il coûte plus cher d’aller jouer au foot que d’aller au restaurant. Bon. On regarde Hancock dans une qualité misérable, car acheté dans la rue pour quelques quetzals et allons dormir. Journée simple et reposante.

Les miséreux avec les financiers

Vendredi 25 juillet 2008

Lever tranquillement tardif, petite douche froide et nous sommes partis pour une journée plus tranquille. En voiture, nous dormons encore, l’énergie manquant un peu à la curiosité. Je m’informe par devoir de la situation à Zacualpa. Guerre, massacres et migrations, il ne reste plus grand monde là-bas, et ce n’est pas dit qu’il reste encore grand monde là-haut dans quelques années. Nous passons devant pleins de maisons aux couleurs de divers partis politiques. L’un d’entre eux s’appelle le patri patriotique et son slogan est « urgo mano dura »
« C’est quoi le pire, le parti patriotique ou le FRG ?
- Le parti patriotique est dirigé par un général.
- Encore ?
- Oui, celui-là est responsable des massacres dans le sud du Quiché
- Ah, ça va être dur de choisir alors.
- Moi, je dis égalité
- Non, il n’y a vraiment pas moyen de les départager ?
- Disons que les deux sont responsables de massacre mais le dernier dirigeant du FRG a détourné 200 millions d’euros et est parti au Mexique.
- Ah bah voilà, moi je dis 1 point pour le FRG
- Non, mais attends, le parti patriotique, il a quand même été très efficace dans les massacres.
- Comment se fait-ce alors que des gens votent encore pour eux ?
- Tu te souviens des patrouilles d’autodéfense. Ca a mouillé beaucoup de gens qui cherchent à garder des responsabilités qu’ils retrouveraient si le FRG ou le parti patriotique gagnaient. » Nous arrivons.

Planqué dans les montagnes, quelques cabanes en bois ne sont pas des refuges de trappeurs, mais des lieux de vies de personnes. Le responsable local nous accueille. Nous nous asseyons en rond. Je demande à Miguel si nous ne seront pas plus, étant donné qu’il était prévu qu’on ait une assemblée avec les microcréditeurs. Je ne m’étonne pas trop, de toute façon, il est effectivement de discuter avec le responsable avant. Nous lui expliquons donc notre affaire. Il commence par nous dire que la banque du coin fait des prêts sur un an de 2000Qz sans intérêt. C’est ce qu’il a entendu. Je ne réagis pas, je le ferai plus tard. Il s’informe de quelques points de détails, du type combien ça fait d’intérêt sur un an. Nous lui montrons quelques possibilités. Le monsieur semble un peu sceptique. Là j’allume, je lui répète que nous ne faisons que payer quelques coûts et l’inflation. Par ailleurs, je lui dis que je ne crois pas un mot de son affaire de prêt, car ne serait-ce qu’en comptant l’inflation ils y perdraient beaucoup d’argent. Par ailleurs, les prêts de banco rural sont de 5% de taux d’intérêt par mois selon nos informations. Nous allons vérifier, mais s’il n’y a pas d’intérêt, c’est moi qui vais y faire un prêt. Le monsieur ne reviendra plus sur cette information bidon.

De toute façon, les gens feront un prêt s’ils le souhaitent, il n’y a rien d’obligatoire là-dedans. Moi le monsieur je le sens pas. Certes les gens sont pauvres ici, et il faudrait les aider. Mais je le sens pas. Je lui demande toutes les informations qui ont fait que les autres projets ont planté. Revenus des gens, réguliers ou non, dépendant des saisons ou non, ce qu’ils vendent, s’ils ont des terres ou non, de la famille aux Etats-Unis, ce qu’ils dépensent, mangent, à partir de quel âge leurs enfants travaillent et arrêtent l’école. Ca prend du temps parce que le mec n’est pas très doué, et il ne m’inspire toujours pas. Mais à côté de mon impatience après trois jours à être patient, je prends du recul et hallucine. Ces gens vivent avec 1 à 2 euros par mois, ne mangent que du maïs et du frijol, les enfants arrêtent l’école vers 8 ans, travaillent vers 10 ans. J’explique que l’on ne veut pas faire des prêts trop gros parce que sinon ça va être trop dur à rembourser. 46 Qz par mois, c’est difficile à trouver! Après trois jours, je me suis habitué aux normes locales, mais je ne peux m’empêcher de penser que je dis à ce mec que obtenir moins de 4€ par mois va être dur. Je me sens à fond dans la critique qu’Alexis avait faite de mois à notre dernière réunion commune avec Armando : financier. Je me souviens même avoir dit cette phrase horrible, après que le monsieur m’ait trop répété son affaire : « Nous savons que vous êtes pauvres, et nous sommes justement là pour vous aider. Mais ce qui nous intéresse, c’est de combien vous êtes pauvre ».
Mais j’assume quand il s’agit de prévenir. Hier et avant-hier, j’ai été profondément choqué et attristé quand Miguel expliquait à certains, qui clairement étaient dans une situation démesurément miséreuse, qu’il fallait absolument rembourser. Et je me suis senti clairement mal, en face de ces gens qui m’assuraient qu’ils allaient rembourser. Surtout que dans beaucoup de cas, c’était de notre faute, nous avions juste mal évalué la situation. Nous ne sommes pas là pour vous mettre la pression, je leur disais, mais pour nous évaluer, prenez votre temps pour rembourser si vous n’y arrivez pas maintenant. Dans un cas, je lui ai carrément dit d’attendre que l’on prenne une décision avant de continuer à rembourser. Alors si être financier, c’est bien évaluer les risques avant de prêter, c’est clair qu’il faut l’être. Je me souviens de ce professeur qui critiquait la microfinance et louait les usuriers parce que ceux-ci étaient des professionnels du risque…
Deux groupes au moins sont en perdition parce que Don Pedro est un responsable qui ne vaut rien. C'est-à-dire deux groupes avec lesquels nous ne pourrons retravailler, ou difficilement. Dès que les gens sont très pauvres et peu habitués à se mettre une certaine pression, il faut que le responsable local tienne la route. Alors lui, je lui fais comprendre qu’il a intérêt à être à la hauteur et à accepter nos conditions. Sait-il utiliser internet, non ? Non, ce n’est pas si grave mais il faut qu’il se rattrape en nous tenant informés chaque mois en téléphonant à Miguel. La transparence est cruciale, il faut que l’on sache très rapidement ce qu’il se passe ici pour pouvoir réagir rapidement. Peut-il aller à la banque chaque mois ? Oui, très bien. Je rappelle quand même que l’on est une association avant d’en rajouter une couche. Nous n’accepterons pas les prêts qui n’ont pas de revenus réguliers s’ils sont trop importants, c'est-à-dire supérieurs à 1000Qz par groupe. A 500Qz pour le groupe, nous sommes d’accord pour des revenus irréguliers, pas au-dessus.

Finalement, après beaucoup d’explications sur les pourquoi de notre politique, il semble accepter ce que l’on dit. Les conditions sont beaucoup plus dures que son prêt à Banco Industrial, mais de toute façon celui-ci n’existe pas. Il nous dit qu’il convoquera une réunion la semaine prochaine pour présenter l’affaire. Nous reviendrons ensuite pour la présenter nous-même. Nous partons, mais avant, moment inoubliable, nous nous essayons à la nourriture locale. Comme ils mangent beaucoup de maïs, ils le mangent sous toutes les formes possibles. Miguel commence à nous en présenter quelques unes, ce qui me rappelle ce moment hilarant de Forest Gump où Bouba explique les différents plats de crevettes. Le pain de maïs, le mais grillé, le maïs bouilli, le maïs en salade, avec du sucre, sel, et ….. en soupe. On nous apporte deux tasses d’un épais liquide laiteux où se maintiennent en suspension de nombreuses particules. La première gorgée de cette purée non salée et diluée avec beaucoup d’eau m’effraye : comment vais-je finir ? Surtout que la tasse est immense. Puis je regarde Benjamin, et là j’éclate de dire, parce que lui subit encore plus que moi. Surtout que j’ai trouvé la solution : comme l’alcool, cul sec. En voyant mon empressement, on s’enquiert de mon envie : est-ce que j’en veux encore ? Non, merci, ça cale bien quand même. Ce qui est très vrai, je n’aurai plus faim de la journée. Benjamin, apparemment moins habitué aux soirées alcoolisées semble lutter, mais courageusement, il finit. On se regarde, et forcément on rigole, alors Miguel nous demande ce que nous en pensons. Nous lui disons simplement qu’on en fera une épreuve pour sélectionner les futures personnes qui viendront ici.
Alors qu’à l’aller, fatigué, je n’avais pu profiter du décor, le retour, où après m’être tranquillement déchaîné sur le pauvre responsable, est l’occasion d’admirer la nature. Des forêts de pins et des routes blanchâtres me rappellent mon pays et ses landes. On pourrait presque croire le pays aride. Rien de tout cela, nous sommes tout simplement sur une façade sud de la montagne. En face et dans la plaine, les forêts de feuillus nous indiquent la réelle pluviométrie locale. Après être passés devant des vaches à bosses qui sont aujourd’hui très rares en France, nous laissons notre responsable qui nous remercie beaucoup. Nous en faisons tout autant et poursuivons notre chemin. Nous mangeons de la dinde, plat cher, dans une auberge, qui de toute façon est chère, 3€ le repas. Cela nous met un peu en rogne parce qu’en plus elle n’était pas très bonne. Les restaurants ici sont constitués majoritairement d’une seule petite pièce avec une table ou deux. La cuisine est parfois dans la pièce même. Deux enfants se chamaillent pour venir vous demander ce que vous voudrez boire, le choix de toute façon n’allant pas très loin, que ce soit pour la nourriture ou pour la boisson. Souvent, nous avons simplement dit oui à l’annonce de ce que le restaurant proposait.
Nous repartons. Miguel nous ayant parlé hier d’un monsieur qui utilisait de l’engrais organique, nous allons le voir. Le sujet de l’engrais est effectivement assez important pour nous pour deux raisons. La première est que son prix a doublé avec l’essence et que cela risque de continuer. La seconde est que la jachère n’existant pas ici, l’utilisation trop importante d’engrais chimique appauvrirait les terres. Et nous naïvement pensons que l’engrais organique pourrait faire moins de mal. Je dis naïvement, car chacun sait que les terres de Bretagne sont pourries par les élevages de porc et leur lisier bourrés de nitrate. Les engrais organiques sont tout aussi polluants à mon sens que les engrais chimiques, enfin, peut-être un peu moins. De toute façon nous vérifierons en France avec des spécialistes de la question.

Nous arrivons sur la terre natale de Miguel où il n’est apparemment pas revenu depuis trente ans. Des grandes plaines vertes où broutent quelques vaches et taureaux, quelques maisons, beaucoup de champs de maïs, nous prenons une photo de Miguel dans son pays natal. Un petit bonhomme souriant nous accueille et nous explique son affaire. En fait, c’est moins intéressant que prévu, le monsieur n’expérimentant la technique que depuis un an et n’ayant pu voir de résultats jusqu’à ce jour, encore moins de résultats durables. Enfin il nous explique quand même sa technique. Il nous dit aussi sa volonté de faire un prêt, en nous parlant d’une initiative gouvernementale, Proderqui, qui fait des prêts avec une assistance technique. Je lui demande pourquoi il ne l’a pas fait, puisque ce semble une meilleure offre que ce que l’on propose, la deuxième fois de la journée en deux interventions, ça va bien! Parce qu’il ne sait pas si l’initiative existe toujours depuis le changement de gouvernement. Moi, je le sais puisque dans le Quiché des gens travaillent encore avec ce projet, mais ils ne m’ont pas parlé de cette histoire de crédit. Enfin, je laisse passer et lui explique notre affaire et nos conditions. Comme ce matin, malgré tout plein d’allusions et de réticences, il semble très intéressé.

Deuxième inquisition de la journée, dans le même style. Il faut dire que lui n’est pas pauvre, alors j’ai laissé les pincettes dans la voiture. D’ailleurs je note que les gens ont la même réticence que nous à dire ce qu’ils gagnent. Car si dans le Quiché, je m’étais toujours débrouillé pour amener la question avec une certaine logique pour qu’elle passe dans le décor. Là, le « combien gagne votre ménage par mois ? » laisse un petit sourire à mon interlocuteur. Je lui explique alors un peu plus gentiment les raisons de ma question. 2500Qz/mois ! Mais attends, t’es super riche, toi! Alors, peut-être que l’on va faire un prêt, ça rentrerait dans une logique de développement de tout le monde, mais avant, je veux l’accord de quelques personnes, et une définition claire de combien d’argent on alloue par catégorie de personnes, celles-ci relatives aux revenus. De toute façon, pour cette année, je dis franchement au monsieur que notre réponse dépendra essentiellement de si nous avons suffisamment d’argent, les projets des plus pauvres passant en priorité.

Cette fois-ci, c’est vraiment fini pour ce voyage. Sur le chemin du retour, quelques échanges de paroles au caractère devenu habituel me rappellent que l’habitude et lq fqtigue sont ennemies de la révolte.
« Miguel, vous allez souvent dans le Quiché ?
- Une vingtaine de fois par an.
- Ah, vous travaillez donc plus souvent dans le Quiché que dans votre bureau.
- Effectivement, nous allons enquêter dans les familles puis exhumer les corps. Il m’est arrivé de passer une semaine et demie d’affilé dans le Quiché pour exhumer 24 corps.
- 24, répétons nous avec une expression dégoûtée.
- Oui, 5 adultes et 19 enfants.
- Wow.
- Et là, je vais devoir passer 2 mois et demi dans le Quiché pour y exhumer 150 corps. » Je regarde un peu plus attentivement le paysage où il y a 5 minutes je ne voyais que les montagnes et les lacs de feu et d’eau, deux volcans signe de notre retour à Guate. Les cubes blancs et gris du bêton des maisons où pointent quelques pics en fers constituent les décors d’une misère qui ressurgit à mes yeux. Non que je l’aie oubliée, elle est partout présente, mais plutôt que je m’y étais habitué. Nous repassons devant nos contrôles de police et je réfléchis un peu plus à cette remarque qui m’avait souvent traversé l’esprit. Une quantité non négligeable d’épiceries affichent en grand qu’elles vendent de l’Alka-Seltzer, un médicament anti gueule de bois. Un coup d’œil aux villes que nous traversons me fait penser que l’alcoolisme local n’est pas sans raison.

Nous rentrons à la maison, tous très fatigués. Miguel aussi l’était ce matin. Heureusement, nous avions pris certains automatismes dans nos explications, et j’ai été moins dur que je ne l’écris, surtout en ce qui concerne le ton. La rapidité de l’enchaînement des phrases, due à une écriture nocturne, reflète mal la demi-heure nécessaire à l’obtention de n’importe quelle information, surtout ce matin, le monsieur ayant vraiment deux de tension. Je me dis qu’il va falloir maintenant développer le partenariat avec José, mais l’énergie me manque tellement, que je doute même de la nécessité de ce partenariat, qui constitue pourtant un important travail de l’équipe 2k6. Allons nous reposer, c’est ce qu’il y a de mieux à faire. Après quelques heures de routes, de manger et de dégustation d’une liqueur du Quiché, de retrouvailles avec les filles de miguel, d’un film pour adolescente et d’une petite heure d’écriture, c’est exactement ce que je vais faire.

El Desengaño

Jeudi 22 juillet

Le lever est un peu dur. Nous n’avons dormi que six heures, et nos activités ici sont un peu fatigantes. J’en oublie mon cable d’appareil photo, ce qui fait que je ne pourrai mettre mes photos sur le blog tout de suite. Snif. Ce qui me fait penser que j’ai oublié de décrire le système de chauffage des douches ici : sur le pommeau un chauffeur électrique est installé qui chauffe l’eau au moment même où elle y passe. Donc il y a le choix entre beaucoup d’eau pas chaude et un peu d’eau chaude. Après quelques décharges électriques, on s’y fait quand même bien. Nous partons en avance de 20 min sur l’horaire prévu pour El Desengaño, ce qui est un bon exploit. Dans la voiture, nous nous moquons un peu de nos anciens, car le souvenir de leur récit pour arriver à El Desengaño était un parcours épique d’une journée dans les montagnes guatémaltèques quand Miguel nous dit que cela ne nécessite que 1h à 1h30. En chemin, nous rencontrons une amie de Miguel qui lui dit que les hommes ont tout payé à Cristobal mais qu’elle ne veut pas que Cristobal sache qu’elle nous a dit cela. Bon, ça commence bien.

Nous laissons la voiture et partons pour une petite rando dans les montagnes, ça manquait au voyage pour l’instant. Les Pyrénées avec une flore un peu plus tropicale, ça ne se refuse pas. Nous allons prendre notre petit déjeuner au bord d’une source. En bas, un vert pâturage au bout duquel prend place une petite maison en bois accolée à un ruisseau rappelle les paysages suisses. En haut de grands arbres, notamment des pins font penser à une forêt tropicale. Enfin, derrière nous, un champ de maïs nous rappelle à nos obligations, nous repartons à travers ce dernier. Perdu dans les champs de maïs, grimpant les pentes boueuses et glissantes, passant sous des barbelés, nous profitons vraiment de notre randonnée. Nous retournons sur le chemin et progressons à travers les montagnes guatémaltèques. Un décor idyllique s’offre à nos yeux : le soleil pas encore bien levé éclaire les champs de frijols qui recouvrent toute la montagne d’en face tandis qu’au bout du chemin une école pointe son toit entre quelques arbres attirés par la rivière qui coule au fond de la vallée. Nous arrivons. L’école qui va à peu près jusqu’au collège est quand même bien délabrée et le terrain de basket qui lui fait face est inondé. Le terrain de jeux est lui un paradis pour enfant, l’école étant située juste à coté de la rivière. Nous progressons un peu plus dans les terres pour arriver à la première maison, celle de la responsable du groupe de femmes.
Micaela Magdona est professeur mais ne semble pas gagner d’argent avec cela. Elle nous explique qu’elle a remboursé 6 mois et nous montre même les reçus. Les paiements vont de octobre à février, puis un a lieu en juin. Nous lui demandons ce qui s’est passé : une fièvre de poulets à décimé beaucoup de projet, et elles ont donc décidé de payer tout en août et le feront. Elle a pas mal géré son affaire, elle est passée des poules au porc et à une chèvre. Aujourd’hui je suis à la ramasse de toute façon, et comme miguel m’explique qu’elle a acheté un « coche », j’imagine une petite voiture ou brouette alors que c’est un porc. Tant mieux, après explication, nous en rions et ça détend l’atmosphère, toujours un peu tendue quand nous arrivons, cahier à la main pour poser trois mille questions.

Miguel nous traduit presque totalement depuis hier. De l’espagnol au Quiché, de l’abstrait au concret, du pas clair au clair. Ce qui aide beaucoup. De toute façon il faut avoir conscience qu’ici on ne ferait strictement rien sans Marcos et Miguel. Sans eux, on peut rentrer chez nous : ils peuvent communiquer avec les gens à trois titres : ils sont petits et bronzés, ils parlent la langue locale, et surtout ils connaissent depuis longtemps les gens qui leur font confiance. D’ailleurs Miguel qu’on a beaucoup critiqué cette année pour son manque de communication est très sérieux avec nous. Malgré une petite touche locale dans le travail, nous travaillons très bien et très vite depuis que nous sommes arrivés. A mon sens, c’est juste quelqu’un qui ne sait pas utiliser Internet, d’ailleurs personne dans sa famille ne semble savoir, et à qui il faut donc téléphoner chaque mois pour obtenir des informations.
Le prêt, c’est très bien, le taux est faible, le projet a plutôt bien marché, une chèvre coûte 75Qz petite, se vend 200Qz grande, un poulet s’achète 25Qz se vend 100 après 6mois, le porc se vend 500Qz, elle préfèrerait payer tous les trois mois, son mari gagne 30Qz par jour de travail, elle n’a pas d’autre revenus que ceux du projet, elle file les informations à Cristobal souvent qui est passé ce matin pour la prévenir de notre venue. Je commence à être un peu habitué à questionner les gens, à telle point que ça en devient une routine un peu soûlante, tant les réponses se ressemblent souvent. Enfin, il faut le faire avec sérieux, ce que l’on fait. Nous la remercions pour toutes ces informations et elle nous accompagne visiter les autres membres de son groupe. Quelques traversées de champs plus loin, nous arrivons. Ici le concept de village est très différent d’en France, ce sont souvent des maisons isolées situées à 200m les unes des autres et non un assemblement de maisons.

Le porc est l’investissement gagnant de la saison, ça s’achète 100Qz, se revend 500Qz. Et c’est ce qu’à fait la madame avec son prêt : acheter un porc le revendre, en racheter un, le revendre. Vous noterez que les prêts sont de 500Qz et non de 100Qz. C’est que notre cliente est un cas intéressant. En fait elle a utilisé une grosse partie de son prêt pour de la consommation. Nous lui demandons sa situation. Sans mari, elle n’a aucun autre revenus que ceux du projet et de son fils de 15 ans qui étudie à moitié, travaille à moitié. Ici, le mieux le projet marche, plus son fils étudie. Je crois que comme impact social, c’est assez clair. Par ailleurs, nous arrivons enfin, en fin de tournée, à nous approcher de notre questionnaire de satisfaction sur tous les points. Il nous manquait jusqu’ici les indicateurs sociaux. Enfin, je veux bien vous voir aller chez des mayas leur demander combien ils gagnent et si leur fils travaille ou étudie et jusqu’à quel âge il va étudier. En fait, nous étions arrivés dès le début, malgré notre culture française, à demander aux gens à combien s’élevaient leurs revenus. Mais là, nous commençons à pratiquer assez bien l’inquisition de la situation familiale. Nous la saluons, la remercions : « maltioch » et continuons notre visite. Une des femmes n’est pas là, nous n’irons donc pas la voir, nous allons directement chez une autre membre du groupe.
Là, la madame qui avait acheté 10 poules a été touchée de plein fouet par la fièvre : elles sont toutes mortes en avril, alors qu’elles auraient du vivre 3 ans. Pour la première fois, me semble-t-il, on tombe sur un projet qui a violemment perdu de l’argent. Après quelques calculs, même en donnant une valeur à tous les œufs qu’elle a mangé, elle a perdu de l’ordre de 300Qz, c'est-à-dire plus de la moitié du prêt. Un léger sentiment d’échec traverse mon esprit. Mais la madame veut absolument recommencer. Bon, ça nous redonne un peu d’énergie et on la questionne donc. Le coûts et revenus de son projet, sa situation familiale. Là, on est rodés. Ce qui nous attriste quand même, c’est qu’elle nous dit que le paiement en août l’affectera quand même beaucoup. Ca me paraît clair, les autres vont vendre un porc, elle, va devoir se débrouiller autrement. Certainement le travail du mari aidera.

On s’apprête à partir, quand Miguel nous rappelle. Nous allons voir quelque chose de « clandestino », c’est juste ce que j’ai compris. Nous arrivons devant une planche de bois partiellement recouverte de terre qui constitue la partie supérieure d’une tombe clandestine. Marcos informations service nous explique la situation : A El Desengaño, les militaires ont établi un camp dans les années 81, 82 qui nous semblent être le cœur de la guerre. Pour ce, ils ont tout brûlé et tout rasé en tuant les gens qui n’étaient pas partis. A partir de là, ils sont allés décimer tout ce qu’ils trouvaient dans la région. La région est donc plus ou moins un immense cimetière où on trouve des tombes dans son jardin, comme ici. Nous n’y touchons cependant pas, Miguel veut obtenir une autorisation du gouvernement pour enquêter, ce qui est son travail actuellement. Pourquoi les gens sont revenus ici ? Tout simplement parce qu’ils étaient refusés dans les autres communautés. Il y a une forte xénophobie ici où le pays est le village. Marcos nous disait même qu’on lui demandait parfois, à lui mam, ce qu’il faisait dans le Quiché … Dans les années 1998-99, les gens sont donc revenus de leurs planques montagnardes pour s’établir de nouveau à El Desengaño.

Nous passons chez la dernière membre du groupe qui n’est pas non plus là, et allons chez l’épouse d’un des membres du groupe d’hommes. Le groupe d’homme est constitué de personne assez riche. Eux ont acheté un veau et vont le revendre là. Ce type de projet pose quand même des problèmes, car il y a zéro revenus réguliers. On est un peu gentil avec notre politique de paiement tous les mois qui est fortement inadaptée à plus de 80% des projets. Nous lui posons gentiment les questions désormais toutes prêtes et partons pour une pause aventure : la cascade d’El Desengaño. Au milieu de la forêt tropicale, faisant beaucoup de bruit, une cascade nous appelle et nous la rejoignons non sans mal. Là nous quitte la responsable du groupe de femmes qui nous avait accompagné jusque là et nous commençons à rebrousser chemin. Je crois que l’on va voir les hommes, mais m’inquiète parce que je trouve qu’on rebrousse beaucoup chemin. Miguel me dit qu’ils ne sont pas là, alors je lui demande si on peut voir les épouses ! En fait, l’une d’entre elles nous accompagne déjà et nous irons voir l’autre membre à Uspantan. Mister Marcelino qui nous avait dit qu’il achèterait quatre moutons a en fait passé tout l’argent dans ses études d’avocats. Ca ne me dérange qu’à moitié, mais bon, ça serait sympa de savoir qu’on fait des prêts pour de l’éducation et pas des moutons ! J’en profite pour me faire confirmer les prix de tous les animaux que j’ai déjà entendus quatre fois dans la matinée, ça correspond à peu près, parfait.

Nous la laissons et allons voir notre dernier gus de la tournée. Lui est carrément riche : il gagne 150€ par mois ce qui est beaucoup ici. Il nous explique que le prêt c’est parfait et qu’il achèterait certainement un autre veau l’année prochaine. Il nous demande également si nous pouvons faire des prêts pour l’éducation. J’ai envie de lui dire qu’on vient d’en faire un, mais je lui dis surtout qu’on ne sait pas faire, et que ça va demander beaucoup de travail, d’accords de responsables de l’association pour que ça se fasse. Donc certainement pas dès septembre. Je me renseigne quand même pour savoir ce que ça représente : 3000Qz/an pendant quatre ans. Ca fait qu’en étalant les remboursements, c’est un prêt de 12000Qz sur à peu près 10 ans. Ca se fait, mais il y a une once de préparation comme je le disais au monsieur. Par ailleurs, ici il est clair qu’on ne traite pas avec les plus pauvres, donc de toute façon, il faudra vraiment cadrer ce que nous voulons faire et avec qui nous voulons travailler, notamment en question de répartition d’argent par catégories de personnes.
Pour fêter notre dernier client à visiter, nous allons manger dans le resto le plus pourri de tout Uspantan. En fait Miguel veut découvrir la nourriture locale et on va manger au marché dans des conditions sanitaires qui là, il faut l’avouer, me choquent un chouilla. En plus on mange la même chose que la veille en beaucoup moins bon. Là nous arrivons à la fin de nos sous, rappelons nous la légère boulette, aucun de nous n’a de cartes de crédit. Pas non plus Miguel, c’est donc Marcos qui nous avance. Il nous quittera sur le chemin de retour à Sacualpa, ville de l’embranchement pour aller soit à Huehuetenango, soit à Uspantan à partir de Quiché. D’une aide précieuse, c’est certainement la personne la plus fiable et responsable que nous ayons rencontrée.

Nous rentrons à Quiché après trois jours démesurés. Nous n’avons pas eu une minute, même pour penser. Dans la voiture se mêlent réflexions et observations dans ma tête, la fatigue n’aidant pas. Ce matin, j’avais même du mal à profiter du décor tant j’étais occupé à organiser mes pensées. Parfois je m’arrêtais, levait les yeux et me forçait à apprécier, mais je devais me forcer. Trop d’expériences, d’informations se sont accumulés en quelques jours. Il nous faut beaucoup d’efforts pour retenir quoi que ce soit désormais. Heureusement, nous allons pouvoir nous reposer un peu. Certes, demain, nous avons une réunion, mais ça, avec les conseils de nos aieux, nous savons faire. Avec toutes les notes, il y a plus d’une semaine de travail, pour établir un bilan des trois projets, le mettre en forme, réfléchir aux solutions, les trouver, résumer tous les coûts, risques et revenus de chaque projet et produit. Ca tombe bien, parce qu’on n’a pas de temps et qu’il va falloir aller créer l’activité de microcrédit avec José, mais nous sommes quand même contents du travail effectué ces trois derniers jours. Nous n’avons pas une étude systématique et sérieuse par questionnaire de tous les gens qui ont participé, mais nous avons un bon panorama de tous les problèmes rencontrés et un taux de satisfaction sur un échantillon quand même très représentatif, de 100%, avec un taux de renouvellement de 100% en volonté, parce que il y a quelques groupes ou personnes dont nous savons que nous ne les reprendront pas.

Nous délaissons donc les hautes montagnes du Quiché et leurs panaromas sublimes de montagnes de verdures, et de maison où est écrit FRG.
« Miguel, que veut dire FRG ?
- Front quelquechose du Guatemala- révolutionnaire ? propose Benjamin
- ah non, voilà c’est Front Réformiste du Guatemala
- C’est un parti révolutionnaire ?
- Non, c’est un parti que dirige un général.
- Un général ?
- Oui, un qui est impliqué dans de nombreux massacres pendant la guerre.
- Ah, c’est un très bon général, ça.
- Oui, très actif. » Nous rions, mais cela montre encore que les accords de paix étaient surtout une armistice de la Guérilla. Elle, a été détruite, mais les hauts responsables de l’armée sont toujours là…

Nous arrivons à Quiché où nous dormirons. Après un petit échange de pensées sur la journée avec miguel, un passage au café internet et un repassage au café internet, parce que aujourd’hui j’ai du mal et que j’oublie tout partout, nous mangeons et allons écrire au son du doux ronflement de Miguel. Parfois, nous avons l’impression qu’il se fait mal, mais là, il s’est calmé, nous allons donc dormir.

Enervements , clarifications et fatigue

Mercredi 23 juillet

Nous nous levons tranquillement à 7h30, et je profite de la petite heure qu’il me reste avant de partir pour finir d’écrire sur la veille, ou presque. Nous sortons à peine de l’hotel que nous tombe dessus notre premier évènement de la journée. Un petit monsieur, vous remarquerez que c’est courant sur les photos, parle avec Miguel. Miguel me dit que c’est la personne qui a été attaquée en janvier. Je m’inquiète donc de son état : tout va mieux, mais il a laissé beaucoup d’argent pour l’hopital - ah oui, ce n’est pas gratuit ici - et a même quitté El Desengaño. Comme c’est un de nos clients, je cherche également à savoir où il en est. Il me raconte alors tous ses malheurs qui, il est vrai, sont immenses et se plaint beaucoup. Je suis énervé parce que je n’aime pas les lamentations, et ça m’énerve d’être énervé, parce que ce monsieur a clairement de quoi se lamenter. Ca me rappelle cette phrase que l’on entend dire avec conviction à xmf « on n’est pas là pour faire de l’assistanat », sur le terrain, ça veut dire qu’on est pas là pour aider les gens les plus miséreux. Penser à faire un projet, c’est déjà être un peu moins miséreux. J’assume avec la plus grande facilité la culpabilité violente du monde face à ces êtres. Cette phrase ignoble est effectivement notre paradigme ici, notre façon d’aider les gens. Si elle tombe, notre action la suit. Il nous dit qu’il va quand même rembourser, je précise que nous n’avons rien demandé d’autres que des informations, car il faut lutter et que la vie est lutte. Au moins je préfère ce passage qui montre un peu de vie, et un peu moins de soumission à la nature. Dieu est grand et il faut accepter ce qu’il nous donne. Bon, là je le suis moins. Nous partons.

Nous arrivons à Chicaman, où nous avons déjà dilapidé nos 55€ d’essence en 400 bornes, ce qui forcément augmente un chouilla mon énervement. Nous prenons 2 galons parce que l’essence est chère ici et partons pour la montagne Nous arrivons, presque à l’heure, à 10h15 pour 10h, c’est vraiment un exploit, à l’Aldea où vit la communauté à laquelle nous faisons des prêts. Une aldea, c’est un petit regroupement de maisons, beaucoup d’aldeas constituent un municipio. Nous apprenons tout d’abord que Don Pedro n’a réuni personne et qu’il n’est pas là. Là, je prends des photos pour me calmer, et il est vrai qu’on ne se lasse pas du paysage montagneux, et de ces grandes vallées où de temps à autre on perçoit l’activité humaine. Nous mangeons une papaye, ce que je n’avais fait depuis longtemps, mais qui n’est pas une grosse perte tant l’aliment est suave et attendons. Une bonne heure plus tard arrive notre gus, on peut donc commencer la réunion avec lui. Nous essayons de lui extorquer quelques informations que l’on tire au compte-goutte. Je lui demande s’il tient un livre de compte des groupes. Il revient avec un petit cahier et commence à nous fournir des informations précises. Quelques groupes auraient tout remboursé mais la majorité ont des problèmes. Il nous fournit également les reçus des dépôts qu’il a fait sur le compte de Concodig. Un date du matin même: on comprend que monsieur est allé déposer l’argent alors qu’on venait le voir, d’où son retard. J’étais arrivé avec la possibilité d’établir de nouveaux contrats pour qu’ils puissent nous régler par mensualités la fin des prêts et que ça leur apprenne quand même à respecter les mensualités, mais Miguel me fait comprendre lorsqu’il va chercher son livre de compte, que le problème est bien avec lui, qu’il n’a certainement pas déposé l’argent que les gens lui ont confié. Je me tais donc sur la possibilité de nouveaux contrats, et nous faisons les comptes : ne serait-ce qu’avec les informations qu’il nous donne, il nous doit plus de 2500 Qz. Par ailleurs, son groupe n’a remboursé que 92Qz, ce qui est juste malhonnête pour rester poli. Il y a beaucoup de personnes malades apparemment. Enfin, il nous faut absolument changer de responsable ici, car ce mec ne l’est clairement pas. Ce qui m’énerve d’ailleurs un peu plus encore, mais je m’apitoie quand même sur l’homme qui me semble juste pas très responsable, ni très éduqué. Enfin ce pauvre monsieur a quand même détourné au minimum la bagatelle de 250€, ce qui ici n’est pas rien. Nous lui faisons comprendre qu’il faut que les gens remboursent tout, c'est-à-dire que lui aille déposer à la banque ce qu’ils lui ont donné. Il nous offre des fruits cuits, ce qui m’énerve un peu, car je n’aime pas recevoir de cadeau de quelqu’un qui clairement essaye de nous berner. En plus, je me force à engloutir sans mot dire cette chose immonde. Benjamin me demande si je veux finir le sien, ce dont je le remercie mais proposition que je n’accepte pas.

Nous lui demandons ensuite d’aller voir les projets. Miguel et Marcos insistent admirablement bien pour qu’il nous accompagne, et il ne peut donc se défiler. Nous partons chez un monsieur aveugle, dont Don Pedro nous avait dit que sa cécité nouvelle avait causé des problèmes, mais dont Marcos me dit à voix basse qu’elle date d’il y a 3 ans. Don Pedro nous dit qu’il est du groupe 1, c'est-à-dire du sien qui n’a remboursé que 92Qz. Nous posons quelques questions au monsieur, qui nous dit qu’effectivement il a été malade et que cela l’a dérangé. Mais il a payé 6 mois, et il ne lui reste que six mois. Nous lui faisons comprendre qu’il faut qu’il soit sérieux dans ses remboursements, et pour que ceux-ci ne lui pèsent pas trop, il n’a qu’à juste reprendre la fiche de remboursements par mois, là où il s’était arrêté. Nous demandons à Don Pedro, comment se fait-il que le monsieur a payé six mois, et que le groupe 1 n’a déposé que 92Qz, il nous dit qu’il s’était trompé, qu’en fait il est du groupe 2.
Nous partons voir un autre projet. On tombe sur une maison bien organisée. En entrant, un petit passage en bois laisse découvrir un sublime métier à tisser dans une pièce adjacente. Au bout, une dame et deux de ses filles sont devant un panier de haricots. Nous les saluons toutes et commençons à nous enquérir de la situation et à faire notre questionnaire de satisfaction orale. Ici, tout a bien fonctionné, les gens ont bien payé, sauf qu’ils payaient tous les trois mois plutôt que tous les mois, parce que leur production se vend tous les trois mois. Arrive un paysan qui parle bien espagnol, Fransisco Uz Cal, figure incarnée du paysan travailleur et honnête. Il nous donne des informations très précises sur tout ce que nous voulons savoir, coûts et revenus du projet, nous montre ses champs qui sont très bien tenus. L’énervement tombe d’un seul coup malgré la chaleur, et je peux un peu plus profiter de la vue à 180° sur un encaissement dans lequel se situe la maison du paysan, lequel donne sur une vallée. A gauche un chemin tortueux essaye de lutter avec le relief, sans succès. Nous remercions ce seigneur pour toutes les informations précises qu’il nous fournit et partons voir d’autres projets. Nous nous frayons un chemin à travers des champs de maïs, grimpons sur les pierres d’un ruisseau pour arriver à quelques maisons. La première personne que nous voyons a du vendre une grande partie de ce qu’elle possédait parce qu’elle était tombée gravement malade. Elle nous assure quand même qu’elle pourra rembourser en temps et heure. Nous lui disons que nous ne sommes pas là pour ça et qu’elle peut reprendre les mensualités sans se forcer à tout payer en une fois. Nous évaluons seulement les prêts que nous avons faits et notre fonctionnement. Nous la quittons pour jouer un peu plus les indiana jones et arriver à une maison dont le toit en chaume est plutôt surprenant dans le coin. Personne. Nos efforts vains, nous redescendons, remercions Don Pedro pour les informations qu’il nous a données et le quittons.

Marcos m’explique que Don Pedro est un guérilléro qui a beaucoup combattu dans les années 80. Les gens le respectaient donc et l’ont choisi comme responsable. Mais de plus en plus ils trouvent que ce n’est pas un bon responsable. Il nous dit également que pour un autre projet, les gens devaient lui confier de l’argent, et lui l’utilisait pour aller à Guatemala pour s’occuper d’eux, mais grossissait un peu les factures. Ainsi il a pris de mauvaises habitudes, et confond un peu son argent et celui qu’on lui confie. Le voyant d’essence est allumé, ce qui re-m’énerve. Surtout qu’on a lâché 10€ pour venir ici, et que Don Pedro n’a clairement pas fait d’efforts pour réunir les gens, ni pour leur dire que l’on viendrait. Tout cela pour se protéger bien sûr, mais ça m’énerve. Bon, on se calme, 10€ c’est rien, et en plus nous devons trouver une solution pour le groupe qui fonctionne bien. Nous nous arrêtons dans un très charmant restaurant pour manger. Là, on se rend compte, boulette sublime, que comme on n’a pas pris nos cartes de crédits par sécurité, on ne peux pas retirer d’argent et qu’on va être en galère, parce que Miguel n’ont plus n’a pas sa carte, et que la première Banco Industrial est à Quiché. On compte ce que l’on a, tout va bien on s’en sortira. Enfin, j’avoue que je n’avais pas prévu que nos coûts dépassent 200€, mais comme nous payons l’hotel, le restaurant et l’essence pour quatre, ça a beau n’être pas cher, ça finit par compter.
Je bois ma limonade et là clairement ça va mieux. En fait, c’est surtout qu’il fait chaud ici et que l’on commence un peu à fatiguer avec la quantité d’informations. Enfin, s’énerver sur des miséreux, ça a quelque chose de scandaleux. Je profite du repas pour essayer de résumer les problèmes ici et de trouver une solution. Miguel nous dégotte une nouvelle responsable d’on ne sait où, que nous verrons dans … une heure! Ca, c’est fait ! Et ensuite, on se dit que le groupe que nous avons vu peut clairement tourner seul, vu le niveau de responsabilité de Fransisco, qui dépasse clairement le mien. Nous mangeons une soupe de légume et de viande avec un avocat et du riz, pour le prix en France de … l’avocat. Et nous repartons de bonne humeur. Même l’essence ne m’énerve plus !

Après 200m nous nous arrêtons. Une petite madame arrive, dans son sac des livres et deux portables, dans sa bouche un flot de paroles ininterrompu sur son activité surchargée. Si le mot speed sied parfois à certaines personnes, je pense qu’il a été inventé pour elle. Quand un silence de plus de une seconde s’est installé, elle vérifie sur ses deux portables si elle n’a pas oubliée d’appeler quelqu’un. Enfin, elle m’a l’air quelqu’un de responsable, et si elle peut suivre les projets ici, ce sera parfait. Après 1km nous nous arrêtons à un croisement de route. Y attendent une femme et sa mère devant des cajots de haricots. Nous faisons notre manège habituel : récupération d’informations sur les paiements, questionnaire de satisfaction, photos. Ce sont deux géniales et énergiques femmes qui répondent clairement à toutes nos questions. En plus elles ont bien payé, et il ne leur reste que les deux derniers mois. Très impressionnés, de nouveau, par ce groupe de femme, nous repartons égayés. Il y a au moins deux groupes qui marchent bien. Il nous faut un nouveau responsable, et elle est peut-être déjà dans la voiture.
Nous repartons pour d’autres projets et d’autres aventures. Je demande à Miguel d’appeler Cristobal, mais il est impossible de le joindre. Nous nous arrêtons sur le bas côté de la route et descendons des petits chemins de terre boueux pour arriver à une petite maison où une dame nous attend avec un large sourire. Nous lui posons tout un tas de question, et apparemment ici aussi tout se passe bien. Elle nous dit également qu’un groupe que nous ne pourrons aller voir a déjà tout remboursé. Nous prenons quelques photos et la laissons avec ses filles qui nous disent « bye ». Nous leur sourions et partons. Après avoir traversé une rivière, remonté un petit chemin large de 40cm taillé dans la végétation, nous arrivons à une très charmante maison, avec plein de plantes et d’animaux. Nous enquêtons et tout va bien ici aussi, ils ont juste eu quelques animaux morts ce qui fait que le prêt a eu peu de bénéfices, mais ils veulent recommencer avec un veau. Nous leur disons que ce sera certainement possible s’ils remplissent précisément la demande que nous leur fournirons bientôt. Quand nous avons obtenu toutes les informations que nous souhaitions, nous prenons quelques photos et allons vers la dernière personne que nous verrons ce soir mais qui appartient à un groupe dont on a déjà vu un membre, la dame au large sourire. En chemin nous nous disons que Don Pedro a allégrement détourné plus de 5000Qz, mais qu’il est agréable de voir que c’est surtout un problème de responsable, que nous allons pouvoir continuer à travailler avec les groupes. Un vieux paysan, dont Miguel nous dit qu’ils se connaissent depuis plus de 15 ans, nous accueille. Nous nous asseyons pour ne pas tomber et nous enquérons de l’état de son projet. En fait, ils ont juste décalés les remboursements d’un mois, ce qui fait qu’ils finiront en octobre. Nous leur disons qu’il est préférable qu’ils finissent en septembre pour que nous puissions leur faire un nouveau prêt en septembre, avant de partir. Ils acceptent et finiront de rembourser avant la fin du mois. Sa femme nous apporte des cafés qui nous aident beaucoup à poursuivre notre quête d’informations avec sérieux. A la fin de la journée, nous connaissons les prix de tous les produits des marchés locaux et des problèmes de tous les groupes, c'est-à-dire pas tant que ça en fait. Un seul problème : Don Pedro. Mais il n’est pas si gros, le problème, et nous sommes rassurés, notre activité ici va pouvoir se poursuivre dans de bonnes conditions. Seuls deux groupes sur sept ont des problèmes sérieux de remboursements. Cristobal a appelé, il nous attend à Uspantan. La journée n’est donc pas finie, mais c’est bien, nous allons pouvoir mettre beaucoup de choses au clair. Sur le chemin, Marcos nous informe toujours plus de la situation ici. En fait il a passé deux années à Uspantan et connaît donc bien la situation locale. Mais au rythme d’une information à la minute, nous finissons par saturer, et quatre heures après, je ne peux même pas me rappeler de ce qu’il nous livra comme secret tant il y a à savoir sur ces petits villages. Seule chose dont je me souvienne, est qu’il nous dit qu’ici non plus il n’y a pas de police et qu’il y a par conséquent des problèmes de violence. Pas de police dans une zone immense où vivent plus de 50 000 habitants, passons. Nous arrivons à un hôtel de Uspantan. Celui-ci est grand et la cour dans laquelle nous arrivons est belle et bien décorée. D’un grand niveau ! Nous discutons chiffons et taquineries avec la nouvelle venue, féministe, à 30 ans non mariée et qui le revendique fièrement. Nous allons nous asseoir autour d’une table à l’étage pour faire un peu de tri dans ce que l’on a vu aujourd’hui. C’est là que nous comprenons que la situation n’est pas si mauvaise à Chicaman.

Cristobal arrive, entouré de deux filles. Nous le saluons, nous présentons et décrivons notre but : évaluer notre projet et la situation à El Desengaño. Le groupe d’hommes a apparemment payé jusqu’à janvier, et Cristobal a même payé pour celui qui s’est fait tiré dessus. Ensuite comme ils avaient acheté des animaux qui ne procurent aucun revenus si ce n’est à la vente, ils ont décidé d’un commun accord tout seuls dans leur coin sans nous informer de tout payer à la fin. Le groupe de femmes a remboursé deux mois de plus, mais ont du arriver aux mêmes conclusions. Nous lui faisons remarquer que nous comprenons la situation, et que nous avons fait une erreur en demandant un remboursement mensuel sur des projets qui ne fournissent des revenus qu’au bout d’un an. Mais, nous lui faisons remarquer que le manque d’informations qu’il nous a fournies est inacceptable et doit être évité l’année prochaine, si nous continuons à travailler ensemble : il devra rendre compte mensuellement à Concodig et à nous de ce qui se passe à El Desengaño.
Un peu piqué au vif, il est vrai que mon ton doux contrastait avec mes reproches durs, il nous dit qu’il accepte la critique dans un but d’amélioration. Il lâche une petite pique à Concodig que je remarque, et que Marcos et Miguel relèveront vivement quand il sera parti. Ce n’est en fait pas très fin de sa part : il dit que Marcos est venu le voir en avril et qu’il ne sait pas mais qu’il y a des problèmes de communication un peu partout que nous devons améliorer. Je ne lui dit pas qu’on a effectivement lutté avec Miguel cette année pour obtenir des informations, mais juste qu’on est effectivement bien là pour évaluer et améliorer. Dans ce même but, nous aimerions aller évaluer avec tous les gens qui ont fait un prêt la situation demain, jeudi. Il nous dit qu’il n’a pas pu coordonner notre visite, mais finalement fait un effort, même s’il nous dit qu’il n’est pas sûr que tout le monde sera là. Bon, on verra demain, mais il fait quand même moins guignol que Don Pedro.Une fois Cristobal remercié et parti, Marcos et Miguel se lâchent. Ils n’ont pas trop apprécié le « il y a des problèmes de communication à Concodig », le « Marcos était au courant » et « je n’ai pas pu coordonner la visite » alors que ça fait une semaine qu’on l’a prévenu. Miguel commence par m’expliquer que Cristobal est très fort pour s’en sortir dans les discussions et qu’il faut faire attention. Je lui réponds, qu’il n’a pas à s’inquiéter, nous sommes quand même habitués à la rhétorique dans notre pays. J’ai d’ailleurs trouvé ses écarts assez peu contrôlés, et très teintés d’orgueil plus que d’habileté. Marcos m’assure de la même façon qu’il est bien venu ici en avril, mais qu’il n’a pu obtenir aucunes informations de lui. Ils continue en généralisant et en le taillant en pièce : Cristobal fait de la rétention d’informations, contacte directement Armando sans passer par Concodig pour des choses qui concernent Concodig. Deux affaires ont eu lieu cette année qui le mettent en cause : la première est une affaire de vol de machines d’une association dont Cristobal a rendu compte en disant que c’était des voleurs qui étaient entrés par derrière, alors que quand Marcos est allé enquêter sur place, il s’est avéré qu’ils étaient passés par la porte principale, dont bien sûr seul Cristobal avait la clé. Miguel et Marcos ont conclu à un auto-vol. Autre chose, après l’affaire du monsieur qui s’est pris une balle à El Desengaño, Cristobal a dit que c’étaient certainement des délinquants et c’est tout. Marcos qui a rencontré beaucoup de gens en avril, nous dit qu’à une réunion en décembre, des personnes ont désigné Juan, le futur attaqué, comme un brujo : une personne qui envoie des mauvais sorts, et l’ont mis en cause dans deux morts. Ils l’ont menacé et ont demandé à ce qu’il quitte le village. Un mois après, il était attaqué, et Cristobal ne pouvait pas ne pas savoir ceci. Il a donc encore fait de la rétention d’informations.
Miguel me fait encore un peu rire en construisant encore une possible embuscade le lendemain, en suggérant que Cristobal n’est pas blanc dans l’affaire de Juan. Cette fois-ci c’est clair, Miguel en rajoute quand même beaucoup.Je propose donc que l’on adopte la conduite suivante : nous voyons demain ce qu’il en est et si ce que nous a dit Cristobal est confirmé et qu’ils finissent de payer, nous ne développerons pas l’activité à El Desengaño mais proposerons quand même des prêts aux deux groupes existants, pour voir si Cristobal est capable de nous informer en temps et heure. Nous baisserons la quantité d’argent prêtée, car il est vrai qu’une erreur a été commise : nous avons prêté des grosses sommes pour des projets devant être remboursés alors qu’ils ne produisaient pas encore de revenus. Par ailleurs, tant que la situation à El Desengaño ne se sera pas améliorée, nous maintiendront l’activité de microcrédit à un niveau faible, sans la développer. Miguel et Marcos semblent d’accord avec ma position, et de toute façons, nous verrons demain. La fin de la journée approche enfin, et nous allons dîner dans le petit restaurant mexicain de la veille. Nous essayons de discuter, mais les forces ne sont plus là tant la journée fut longue et éprouvante. Plus que quelques heures à écrire et au dodo.

Marcos et Cristobal

Mardi 22 Juillet

Heureusement que la journée possède un début et une fin avec un déroulement chronologique, sinon je ne saurais par où commencer, si ce n’est par cette remarque de benjamin : « dans la voiture, je saturais en information ! ».

Commençons donc par le lever, pas de problèmes majeurs, la réunion débute à 8h, nous nous levons donc à 7h45 et partons, après avoir payé la somme monstrueuse de 16€ pour deux chambres, à 8h. A 8h15 comme on est en avance, on s’arrête pour voir si Miguel peut acheter une cassette vierge dans un désert technologique. Je demande alors qu’il est descendu ce que signifie avoir réunion à 8h à notre chauffeur. Cela veut bien dire que la réunion commence à 8h? Bon, alors allons-y ! 8h45 nous arrivons à un croisement de routes où plusieurs personnes nous attendent. Nous descendons et commençons à gravir une pente rocheuse menant à un passage étroit où coule un ruisseau. Nous parcourons 100m dans ce passage digne d’un conte de fée. Nous arrivons à une petite maison qui n’est pas en pain d’épice mais tout comme. Finalement ne sont là que les gens à qui on a prêté l’année dernière même si la veille Miguel nous avait dit qu’il y aurait sûrement de nouvelles personnes. Pas de problèmes, nous ne ferons donc qu’un état des lieux du projet Maya Desarrollo et des projets de chacun.

La réunion débute par une présentation de chacun. Nous expliquons que nous sommes de la même association que les français qui sont venus l’année dernière et que nous sommes là pour évaluer le projet, et le continuer. Pour les gens d’ici, Ixtahuacan, l’espagnol n’est pas leur langue maternelle, c’est le Mam. Marcos traduit donc ce que nous venons de dire. Après cette entrée en matière, j’explique que nous allons faire un nouveau tour de table où je demanderai à chacun ce qu’il pense du projet, de décrire son projet et les problèmes rencontrés s’il en a rencontrés. Nous commençons donc par le trésorier de l’association qui nous dit que le projet est très bien mais qu’ils ont eu des problèmes pour payer en hiver. Arrivent deux autres personnes à qui nous réexpliquons brièvement ce que nous venons de dire. L’un d’entre eux est un méga cas particulier, parce qu’il loue ses terres au Mexique et qu’il galère donc pour payer chaque mois. Il faudra réfléchir à comment gérer ce monsieur là, mais à mon avis, comme on ne peut pas trop faire de cas particuliers, sinon tout le monde s’y met, il va encore devoir faire quelques trajets.
Au fur et à mesure du tour de table, on croît halluciner : d’abord on apprend que les gens ont eu du mal à payer en hiver, bien nous avons déjà prévu le coup et nous adapterons. Mais on atteint le champignon de Amsterdam, lorsque l’on apprend qu’en fait certains projets n’ont pas encore provoqué d’entrées d’argent !
On a fait rembourser ces gens alors que les projets ne généraient aucun revenu, c'est-à-dire qu’on a demandé à des gens pauvres de prendre clairement sur leur budget du mois, qui, il ne faut pas se leurrer, doit être à 80% de l’alimentation. Pour être clair, ils ont certainement sautés un repas par jour pour nous rembourser, c'est-à-dire juste ce que l’on ne veut pas. C’est là que l’on voit toute la nécessité de bien transmettre toutes les informations que l’on a. Loïc parlait mieux espagnol que moi, et pourtant il n’a pas réussi à obtenir ces informations, parce qu’il faut du temps. En partant avec déjà les informations de l’année dernière, nous en apprenons encore plus. Et à mon avis, nos successeurs continueront à tomber des nues pendant un certain temps.
La raison de ceci : comme je l’expliquai avant de partir à quelques parisiens et lyonnais qui viennent pourtant de la campagne et qui osèrent rire de ma personne, les animaux, pour produire du lait ont besoin d’avoir un petit. Tant qu’ils n’en ont pas ils ne produisent pas de lait. Du coup les groupes qui ont acheté une chèvre jeune ont tous, sans exceptions, galérés. Alors que les groupes qui ont acheté une vache ou des chèvres adultes n’ont eu aucun problème, ce qui montre dans une certaine mesure que les mensualités étaient quand même bien calculées dans le cas où il y avait vraiment des revenus.
Nous comprenons également qu’une bonne partie des groupes consomment leurs produits et ne le vendent pas. Ainsi c’est donc bien un lissage de consommation que l’on fait en assurant une consommation régulière via les projets. Il nous faut donc l’assumer et adapter les remboursements pour augmenter l’effet. D’ailleurs nous continuons le tour avec cet avis général que le projet est très bien et qu’il faut le continuer. Et tous accueillent avec joie notre proposition d’adapter les remboursements à la saison. En été ils paieront plus d’argent, en hiver moins. On propose aussi un décalage violent des mensualités, et évidemment ça dépend des groupes. Ceux qui n’ont pas eu de problèmes trouvent le système actuel très bien. Nous remarquons d’ailleurs l’attitude des femmes, dont la microfinance dit tant de bien : ultra responsables, elles ne voient pas les problèmes, n’ont pas de problèmes à payer. Ca tourne, point. Nous finissons notre tour de table avec une responsable de groupe qui ne parle pas espagnol. Marcos nous traduit ce qu’elle dit : tout va bien avec le projet, même si parfois elle a eu du mal à s’en occuper parce qu’elle était au chevet de son fils de 15ans malade d’une leucémie. Assise à ma droite, pendant la traduction, elle fond en larmes. Je la regarde et me fait traduire par Marcos : nous sommes tristes pour son fils et impressionnés de son courage et de sa détermination à continuer le projet. Je lui pose les mêmes questions de routine, traduite par Marcos, ce qui lui permet de se ressaisir et de nous expliquer le cas de son groupe qui tourne très bien.
J’enchaîne sur cette expérience pour conclure que nous sommes impressionnés, ce qui est un euphémisme, qu’ils aient tous remboursé dans ces conditions. Leurs efforts ne seront pas vains, nous les prendrons clairement en compte dans les prochaines demandes. Par ailleurs, leur excellent exemple nous permet de montrer à nos partenaires en France le sérieux des gens ici et leur volonté de développement. Ainsi nous pourrons revenir avec plus d’argent grâce à eux. Leur lutte est donc non seulement personnelle mais également sociale. Miguel enchaîne dans le même ton. Le président du projet (tous ces groupes sont réunis en une organisation) conclut en nous remerciant. Nous faisons une photographie de groupe et allons admirer le veau et la vache qu’a amenés une des responsables de projet.

Nous faisons ensuite une visite des groupes que je suis heureux d’avoir négociée. Nous arrivons à Aldea Acal, un lieu typé au possible : à l’entrée, nous passons devant une église en construction, ensuite nous traversons une cour d’école où de jeunes enfants sont en train de jouer. Enfin nous arrivons dans un petit chemin de terre où de petites maisons ont été semées de temps à autre de chaque côté. Seul chose dommage, l’absence totale de goût des guatémaltèques en ce qui concerne l’architecture et les arts décoratifs. Un responsable de projets nous montre donc son terrain qui est constitué d’une petite parcelle de 5m de large sur 30m de long à un endroit où pourtant, il ne semble pas manquer d’espace tant les forêts s’étendent à perte de vue. Nous y voyons les chèvres achetées dans un petit enclos et lui posons quelques questions : prix du lait, quantité de lait possiblement produit par jour par de telle race, ce qu’il gagne en été et en hiver. Donc en hiver, nous apprenons qu’il gagne entre 50 et 100 Qz, et bien sûr le montant des remboursements s’élève à plus de 50Qz par mois.
Nous sortons de chez lui en observant sa femme qui fabrique un vêtement avec un métier à tisser mode maya et en se retrouvant avec quelques oranges et des bouteilles d’eau en cadeau. Nous continuons alors à pied, devancé par des papillons couleur jaune vif et entourés de plantes colorées aux odeurs étranges et pourtant parfois familières. Ainsi je m’arrête car cela sent fortement la menthe et cherche à trouver la coupable. Marcos me la montre et me fait ensuite part de son expérience en la matière. Il semble connaître énormément de choses sur les plantes ici et m’explique les vertus médicinales de chacune. Nous continuons ainsi 200m puis coupons à travers un petit pâturage pour atteindre une nouvelle habitation où habite un autre responsable de groupe. Je me fait confirmer que les mois d’hivers les rentrées d’argents sont très faibles, quasi nulles. Nous prenons quelques photos et atteignons un troisième endroit, non sans être passé devant un temple évangélique tombé du ciel en pleine nature. Là, le responsable m’explique clairement qu’ils n’a aucune rentrée d’argent en hiver; il est vrai qu’il semble plus pauvres que les autres. Je me demande comment il fait et va faire pour nous rembourser les deux derniers mois. J’ai envie de stopper ça et d’étaler les remboursements sur les mois d’après, mais cela impliquerait qu’il ne puisse pas réemprunter en septembre. Ils ont déjà tant fait d’efforts que je ne changerai rien. Ils luttent pour suivre le contrat, alors respectons ce contrat autant qu’eux. Mais je me jure que le prochain qu’ils signeront sera adapté! L’erreur est inhumaine quand on traite de misère.
Comme les autres projets sont loin et qu’il est vrai que nous avons suffisamment d’informations se recoupant sur le projet et que je sens de toute façon qu’il ne faut pas en demander plus, nous rebroussons chemin. Nous félicitons une dernière fois les agriculteurs, leur expliquons de nouveau ce qui va se passer maintenant, et leur disons que nous, ou nos camarades reviendront en septembre leur accorder de nouveaux prêts. Marcos rentre avec nous, et nous rentrons donc sur Ixtahuacan. Je comprends alors que Marcos vient avec nous à Uspantan, où se trouvent les deux autres villages auxquels nous avons prêté de l’argent l’année dernière : El Desengaño et Chicaman. C’est parfait, nous pourrons mieux connaître cette personne qui nous impressionne : il semble gérer sa communauté d’une main de fer. Il est très respecté, et quand il expliquait hier que les gens luttaient mais payaient, nous comprenons mieux aujourd’hui.

Nous allons donc nous garer pour manger à Ixtahuacan. Ce faisant nous sommes bloqués dans une rue par un camion à droite et … un corps humain à gauche. Un monsieur décale les pieds du gisant et nous pouvons passer. Nous nous arrêtons à 2m d’un camarade du gisant qui a décidé d’adopter la même position. Nous rentrons dans un restaurant dont l’insalubrité repousserait tout européen qui se respecte : la cuisine à l’étage est en terre battue du sol au plafond dans un état d’entretien qui concourt avec celui d’une crypte hantée. Heureusement, je ne vois ça qu’après manger. Nous commandons l’unique plat et je demande à Marcos ce que sont que ces corps. Des gens ivres ! J’ai pourtant fait les ferias de Bayonne, je n’avais jamais encore vu un homme ne pas broncher en plein soleil à 13h quand on le décale à grand coup de pied pour faire passer une voiture. Marcos poursuit par un « aqui, no hay policia ». Les gens, comme nous l’avait dit Loïc, lynchent les délinquants, s’il y a un problème. Mais apparemment, Ixtahuacan est plutôt une tranquille ville. Nous finissons de manger tranquillement en parlant de ce que nous avons vu dans la matinée.
Nous partons ensuite pour Uspantan, après une petite halte à la maison de Marcos et une autre à Huehuetenango pour que nous puissions aller sur internet rapidement, le temps de gérer un blog bourré de fautes d’orthographes, des comptes en banques et des gens qui demandent de l’aide en plein été pour créer un institut de microfinance. Il faut leur dire que ce n’est pas le moment ! Je note avec joie que la monnaie européenne est toujours plus forte et que nos 9200€ représentent largement plus de 100 000 Qz. Pendant ce temps là, Miguel achète quelques cacahuètes et des sortes de frijols cuits. « Un poco duro » nous dit Marcos. Après avoir manqué de me casser deux dents sur la chose la plus dure que je n’ai jamais mangé depuis longtemps, j’interroge Marcos.
La guerre à Ixtahuacan a été très dure, comme au Quiché. Ici la cause était que le village était séparé en plusieurs camps, puisque Ixtahuacan était la limite entre les territoires de deux groupes de guérilléros. Sans compter bien évidement les militaires. La partie haute de Ixtahuacan a donc été sévèrement touchée avec beaucoup d’assassinats et de massacres dans tous les sens. En revanche dans la partie basse, les responsables de communauté aurait joué beaucoup plus fin, en s’entendant avec un peu toutes les parties en restant neutre en surface. Du coup seulement 17 morts violentes en beaucoup d’années de guerre. Marcos nous explique qu’il y avait bien des guérilleros, mais que la rébellion était plus stratégique et plus cachée. Il faut connaître l’histoire de ces villages, nous dit-il : il y a beaucoup de rancoeurs envers ceux qui ont dénoncé ou qui ont aidé le mauvais camp. A Uspantan où nous allons, deux françaises, les mêmes qui se sont fait voler toutes leurs affaires, ont monté un projet d’artisanat avec plusieurs communautés. Une des personnes avait un grand-père qui avait été du coté des militaires, ce qui a suffit à faire diviser le projet, et à le rendre improductif, les différents ateliers étant beaucoup trop loin les uns des autres.
Je comprends de la même façon que Marcos non plus n’était pas un guérilléros engagé. Lorsqu’il nous explique les rancoeurs et la stratégie de la partie basse de Ixtahuacan, il nous dit que les contacts avec le pouvoir lui avaient valu un test à la fin de la guerre. Lors d’une réunion, deux guérilléros commencent la réunion par lui demander : Au fait, M. Ortiz que pouvez vous nous dire de la guérilla ? Marcos, qui semble maîtriser plus que le guérilléro rencontré à Guatemala Ciudad la pensée et la rhétorique de gauche, leur a expliquer les thématiques marxistes, ce qui les a rassurés. Nous finissons cette discussion, en parlant un peu de l’épuration en France, à la fin de la seconde guerre mondiale.

Miguel appelle Cristobal. Ce dernier sort des excuses ultra-bidon pour qu’on n’aille pas le voir. Impossible de le voir mercredi ou jeudi, et impossible de dépêcher quelqu’un en son nom pour faire une évaluation du projet avec les gens. Nous commençons à nous dire que ce mec n’est vraiment pas crédible. Dommage, car Loïc nous avait dit que c’était certainement le plus éduqué de tous. Il nous faut donc surtout des gens fiables, encore plus que des gens éduqués.
Le décor est ici magnifique, de grandes vallées verdoyantes sont entourées de montagnes hautes et saillantes mais dont le sommet est arrondi, signe d’une érosion moindre que dans le massif central mais plus forte que dans les pyrénnées ou les alpes. Le tout couvert d’arbres et de champs d’herbes broutés qui ont de loin l’apparence des gazons anglais. Nous arrivons à Cünen, ce qui cause un échange d’explication sur le nom de la ville, qui nous rappelle que Marcos et Miguel n’ont pas la même langue natale, ni la même culture. Pourtant ils nous paraissent très proches, et il est vrai que beaucoup de choses les rapprochent quand même. Nous nous arrêtons pour prendre une photo tant le décor est magnifique. Au loin des cubes de toutes les couleurs semblent bien rangés dans un carré. Marcos me dit que c’est un cimetière ! Un peu surpris par le caractère multi couleurs des tombes, je m’informe sur la signification des couleurs ici. Le plus éloigné de nous est le blanc qui est la couleur de la mort ici, puisque les morts sont pâles. Pas faux ! Nous repartons.
Quelques questions magnifiques nous sont posées au cours de ce voyage, symboles de l’éloignement de nos mondes.
« La France c’est grand ?
- Comme le Guatemala à peu près
- Et on y parle quelle langue ?
- Le français
- Il n’y a pas d’autres langues officielles, l’anglais par exemple ? » Ce qui donne lieu à un sourire complice avec Benjamin, mais nous continuons :
« Non, seulement le français. Notre pays est en fait très uni, comparé à ici. Les gens ont tous la même langue et une grande partie de leur culture en commun.
- Vous, vous êtes indigènes de France ?
- A moitié, il y a beaucoup d’immigration en France depuis un siècle et demi, donc moi par exemple, la famille de mon père vient de Hongrie, mais la famille de ma mère est indigène.
- De la même façon pour moi, continue Benjamin, ma famille vient de Pologne.
- Ah le pays du pape ! nous lâche admirablement Miguel
- Oui de l’ancien pape.
- C’est vrai.
- Il n’y a pas eu d’invasions dans votre pays, reprend Marcos
- Non ce serait plutôt nous qui avons envahi les autres. Bien sûr, il y a eu les guerres, mais rien de comparable à la présence espagnole ici pendant des siècles. La dernière invasion durable remonte aux anglais vers 1400, et encore à cette époque, c’était plus une question de seigneurs qu’autre chose.
- Et la France, c’est un pays démocratique ?
- Oui, aujourd’hui la démocratie y fonctionne assez bien.
- Comment sont réparties les terres ?
- En France, il y a eu des révolutions qui ont assez bien répartis les terres. Depuis il n’y a pas 14 grands propriétaires comme ici, qui contrôlent 80% du territoire. » Nous continuons à expliquer un peu la situation chez nous. Exercice difficile, tant ce sont des notions et acquis de bases, évidents, que l’on explique rarement, que nous devons décrire.

Nous arrivons à Uspantan, charmante ville comme toutes les villes que nous avons croisées dans le Quiché. Bien sûr ce commentaire est relatif à la laideur de Guatemala Ciudad, mais ici, il y a moins de maisons en perpétuelle construction, et même une ou deux façades peintes ne contiennent pas de publicité. Nous arrivons à un petit hôtel charmant, plus encore que la veille. Miguel nous présente un coordinateur de 41 communautés et un de ses aides, que nous saluons. Nous leur expliquons également que l’anglais n’est pas langue officielle dans notre pays, et que la France c’est plus loin que les Etats-Unis, il y a même un océan à traverser pour y aller. Pendant ce temps là, Miguel appelle Cristobal qui doit nous rejoindre. Sa fille lui répond qu’il est sorti. Je suis un peu consterné par une attitude aussi puérile. Miguel l’est encore plus et veut tout arrêter à El Desengaño. Je montre que ce n’est pas notre avis, que nous voulons d’abord comprendre ce qui s’y passe. Nous montons discuter avec nos convives. Là, le monsieur coordinateur de beaucoup de communautés prend la parole. Il s’appelle José Ernesto Menchú Tojin et nous parle de groupes de solidarité. Ah, en fait, ceci est une réunion de présentation du microcrédit et l’établissement d’un nouveau partenariat. D’accord, je ne m’étonne pas de ne pas avoir été prévenu une seule seconde, et vais chercher de quoi noter. Reprenons, nous avons donc une nouvelle possibilité de travail à Uspantan. C’est parfait, parce que nos prédécesseurs et leur implantation géographique « dès la première année, dans des régions différentes » nous ont refilé des coûts structurels ultra-violents. J’ai retrouvé dans un document de Loïc un document de viabilité organisationnelle.
« Erreurs à éviter :
- Zones à trop faible densité de population, rendant coûteuse toute intervention.
- Zone avec forte insécurité.
- Zones dans lesquelles d’anciens projets ont échoué ou ont rendu les populations dépendantes. On n’est pas là pour faire de l’assistanat. »
C’est simple, on en a pas oublié une, on les a bien toutes. En fait, je suis très content qu’ils aient fait le projet d’Ixtahuacan, car c’est celui qui tourne le mieux, et de loin. Nous aurons juste des coûts très violents, tant que nous n’aurons pas densifié tout cela, ce qui va prendre du temps.
Nous nous lançons donc dans un laïus non préparé. Miguel nous aide un peu. Cela se passe assez bien, à part que je m’embourbe dans l’explication des calculs des mensualités, après avoir expliqué que nous avions un taux d’intérêt mensuel. Le secrétaire du monsieur semble vouloir comprendre comment nous faisons. Je lui lâche donc une équation de calcul de mensualités fixes avec un taux d’intérêt mensuel, ce qui fait à peu près 10 lignes l’équation. Il fait semblant de suivre, donc je lui montre sur quelques exemples de l’année passée. En plus, je lui montre quelques exemples de remboursements plus forts en été qu’en hiver. Le responsable est allé discuter avec Miguel et Marcos et il a bien raison. Nous finissons en insistant sur leur rôle de suivi mensuel des prêts. Nous tenons à être au courant de ce qui se passe, ils devront rendre compte à Miguel et à nous par internet. Je leur laisse donc nos coordonnées et prend les leurs. Cette année, en début de mois, il y aura systématiquement une phase d’appel de tous les responsables pour savoir ce qui se passe ici. La réunion se termine sans souci, seule une petite chose nous fait sourire : le gérant de l’hotel a laissé un petit panier en osier pour qu’on laisse de l’argent : il a laissé une ampoule allumée pour nous. Nous y laissons un peu de monnaie et partons manger dans un petit restaurant méxicain.
Une grande partie de la discussion est sur Cristobal. Miguel émet l’hypothèse que les gens l’aient remboursés mais que lui n’a pas déposé l’argent. J’insiste sur le fait que nous devons voir et savoir ce qui s’y passe. Nous devons nous rendre sur place de toute façon. Miguel nous conte alors l’histoire de monsieur disparu à El Desengaño au début du mois de janvier, on ne sait pour quelle raison. El Desengaño est reculé, et il y a un bon bout de chemin sans aucune maison pour l’atteindre. « No tengo mielo, pero … ». J’hésite entre rire intérieurement et accorder du crédit à la seule personne qui connaisse la situation ici. J’argumente qu’une personne qui n’a pas le courage de venir s’expliquer avec nous, ne me semble pas de taille à nous préparer une embuscade ! Nous tombons finalement d’accord : nous attendrons le lendemain et si Cristobal ne nous contacte pas, nous irons à la première heure jeudi à El Desengaño. « Debemos ver y saber », je conclus, et nous finissons nos burritos, tacos avec une sauce proche du Guacamole dont je tombe amoureux et allons nous coucher, après deux petites heures d’écriture pour moi, où je n’arrive même pas à finir le récit de la journée tant elle fut longue.

Esperar

Lundi 21 Juillet :

Journée chargée. Tout commence par un réveil tardif de la maison à 6h30. Nous même nous levons doucement à 6h45 et nous préparons à partir. Nos affaires prêtes, nous nous enquérons de l’état de la maisonnée : Miguel n’est pas levé à 7h pour la première fois depuis que l’on est là, normal on devait partir à 7h. Pas d’affolement, on sort l’ordinateur et on raconte la journée d’hier, on travaille un peu d’espagnol. D’ailleurs on a atteint une limite : impossible de retenir un mot de plus en espagnol, on en a déjà trop appris en quelques jours.

7h30 : lever de Miguel. 8h : nous déjeunons et comprenons que de toute façon la réunion de ce soir à 4h a lieu demain matin à 9h. Miguel a par ailleurs trouvé un chauffeur après un léger incident, la veille, avec la voiture, qui l’a énervé. Je voudrais bien connaître le dialogue qu’il y a eu entre lui et notre chauffeur : « Au fait, tu peux me rendre un petit service ?
- Oui, dis toujours !
- Je pars dans la montagne pour une semaine dans une heure, tu peux nous conduire- D’accord, on passe prendre des affaires à moi et c’est parti »
De 9h à 10h30 nous discutons avec Candelaria. Elle n’a école que l’après-midi de
2h à 6h. Nous lui demandons si c’est toujours le cas : oui. On ose lui signaler la nullité extrême de ce qu’elle regarde à la télé « Amor Real », une série genre Dallas au Mexique à la fin du 19ème siècle avec des décors et des discours en cartons. « La télévision, c’est mal !
- Pourquoi ?
- Bah, ça ne sert à rien, et tu pourrais faire autre chose de mieux en attendant, genre apprendre l’anglais ! » De toute façon, il n’y a pas de pièce pour étudier, et je crois définitivement que ce n’est pas dans les mœurs d’étudier à la maison ici.

10h30 : On est un peu surpris par la qualité de la route qui se dégrade de plus en plus, on comprend ensuite qu’on va vraiment chercher les affaires de notre chauffeur, qui est le fils du frère disparu de Miguel. La qualité de la route devient clairement ahurissante genre trous de plus de 50cms de profondeur, à éviter même avec le 4x4. Par ailleurs la pente de la route est forte, les habitations sont dans des terrains difficiles, et vraiment peu accessibles. J’aperçois un panneau de nom de rue : « Calle Esperanza ». Esperar en espagnol signifie à la fois attendre et espérer, ici, je crois surtout qu’ils attendent. Nous nous arrêtons à un endroit et en descendant de la voiture nous constatons que le caractère insalubre des maisons de Guatemala Ciudad n’a rien a voir avec la misère qui règne ici. Nous comprenons que nous sommes dans un bidonville. Miguel me présente à l’épouse de son frère qui semble intimidée et écourte la conversation tant qu’elle le peut. Ne pas avoir de mari ici, c’est être dans une situation très difficile. Je me souviens des personnes d’ATD-quart monde me disant que la misère fermait les gens, qui s’enfonçaient dans une paranoïa violente.

Nous quittons ensuite ce lieu de misère et rejoignons la voie rapide, goudron et lignes tous neufs. On sourit en se rappelant Miguel qui nous disait qu’on allait avoir besoin de 7h pour faire 170 kms. On en profite pour expliquer à Miguel, que ouvrir le toit ouvrant lorsque l’on arrive sur l’autoroute n’est peut-être pas une bonne idée pour la consommation d’essence. 30km plus loin, l’autoroute traverse une ville, donc on fait du 30km/h pendant un petit quart d’heure. Ensuite, ça redémarre, du bon goudron, c’est bien, niquel, ah … on me dit que la route est en construction sur la suite. Et c’est parti pour les petites routes de montagnes défoncées pendant quelques heures.
Beaucoup de petits détails rythment notre voyage : le premier c’est le panneau « Attention, la route est en construction et donc dangereuse » 60 km après que l’on ait quitté le moindre signe d’une route qui se tienne. Ensuite le petit contrôle de police qui va bien : « Les papiers des gringos derrière.
- Nous sommes français- Et que faites-vous ici ?
- Ils viennent visiter des projets dans le Quiché. Nous sommes d’une association » Miguel montre sa carte de Concodig. Du coup le policier fait mine d’aller vérifier nos papiers. Après trente secondes de bluff, il lâche l’affaire et nous laisse partir.
Deuxième contrôle de police : ils cherchent si on a des fruits. Apparemment il y a un parasite dans les fruits du sud, et le gouvernement bloque toutes les routes pour aller vers le Nord. Décor : montagnes vertes, vallée grandes et maisons en béton. Nous arrivons à Quiché, c'est-à-dire Santa Cruz del Quiché. La ville est bien plus jolie que Guatemala Ciudad, il y a même quelques pavés sur la grande place devant l’église. En mangeant, je demande à Miguel, si la situation est plus dangereuse que l’année dernière, et si vraiment, on ne peut prendre de bus. Apparemment non : il y a de plus en plus d’attaques armées. Je prépare le terrain, parce que de toute façon, je vais devoir le prendre en six semaines ici, l’essence est vraiment trop chère. Mais ce sera en slip et encore.
Nous repartons. Il pleut sévèrement, et vu la qualité des routes, cela veut dire qu’il y a un lac tous les 10m sur la route. Nous admirons le décor :
« Miguel, pourquoi quasiment toutes les maisons ont des structures métalliques qui sortent de leur toit ?
- Ils attendent un deuxième étage.- Ah ! » Esperar ici est vraiment un mot rigolo : tous les gens préfèrent espérer et/ou attendre un deuxième étage plutôt que d’avoir une maison jolie. Du coup le décor est vraiment laid, constitué de maisons en béton armé, non peintes et non finies. Benjamin me fait quand même remarquer que les maisons finies à deux étages ne sont pas trop mal. C’est vrai mais on en croise une tous les trois kilomètres.

Quand il n’y a pas de villes le décor est assez beau, ces montagnes vertes dans le brouillard me rappellent le Drakensberg, une sorte de massif central en plus haut avec des vallées à la fois plus grandes, mais des montagnes plus escarpées. Revoilà la ville ; je note une caractéristique non sans sens : les maisons peintes sont les maisons où il y a de la publicité. C'est-à-dire que les seules couleurs que l’on voit sont celles de pepsi and co … S’il y a une chose que les européens ont définitivement détruit ici, c’est la culture architecturale : il n’y en a tout simplement pas.

Arrivée grandiose à Ixtahuacan : une … hum, disons voiture avec une pierre derrière bloque le pont. On dirait un décor de guerre, mais celle-ci est finie depuis 12 ans. En fait le pont est détruit en partie, nous le contournons donc via un petit pont de remplacement et atteignons une petite ville assez sympathique. Certes les rues n’en sont pas, mais notre hotel est sympathique, notre chambre agréable avec en plus une douche à l’intérieur, et je crois même qu’on aura de l’eau chaude. Ayant un peu dormi dans la voiture, nous démarrons d’entrée de jeu. On se fait accompagné, comme toujours, par Miguel pour aller faire des photocopies. Là, vue rassurante emplie d’espoir, nous entrons dans une papeterie qui indique le signe d’une activité intellectuelle dans la ville. C’est en fait la première fois au Guatemala que je vois le signe d’une telle activité. Nous cherchons ensuite à aller au café internet. Comme ce n’est pas loin, on dit à Miguel qu’il n’est pas nécessaire qu’il nous accompagne. Nous arrivons au café, nous asseyons, ouvrons Mozilla, quand soudain … coupure de courant. « Dans tout le quartier ? Demandons-nous
- Dans toute la ville » Comme cela peut durer longtemps nous partons rejoindre Miguel. En chemin la lumière revient mais le café a fermé, nous y irons demain.

Nous préparons avec Miguel la réunion de demain. Il n’y aura pas que les groupes qui ont fait un prêt mais beaucoup plus de gens. Ce sera donc à la fois une réunion d’évaluation du projet, mais aussi de présentation de celui-ci. Marcos, le responsable de la communauté locale arrive. Nous faisons sa connaissance et celui-ci nous parle des projets. Tout le monde rembourse bien, mais il est vrai que c’est parfois plus difficile. Un des groupes a eu un mort pour cause de problèmes intestinaux. On demande si c’est la chèvre, malheureusement non. Un des problèmes est qu’apparemment les mois de la saison des pluies sont très difficiles financièrement pour les gens ici. Ce qui est dommage, c’est que puisque l’on vient en hiver, tous nos prêts se terminent en hiver. Du coup la fin des prêts est le moment le plus dur. Je suis donc persuadé qu’à Chicaman et à El desengaño, ils n’arriveront pas à rembourser leurs prêts.

On perd la lumière. J’expérimente donc la réunion de travail à la lampe torche. Nous essayons d’expliquer à Marcos que ce serait génial s’il pouvait nous rendre compte des projets à Miguel et à nous, cela une fois par mois. Après quelques diversions et après l’avoir dit trois fois, je comprends qu’il faudra que je le redise demain et que l’on fixe un processus, sinon cela ne marchera pas. Mais l’argument que nos partenaires en France nous confieront plus d’argent, si notre transparence est meilleure semble porter. Je lui demande quels ont été les problèmes pour les gens ces derniers temps, augmentation du prix de l’essence, des matières premières ? Non le maïs n’a pas encore trop augmenté ici. C’est l’augmentation brutale du prix des engrais chimiques qui a mis tout le monde en situation délicate. C’est aussi ce que nous avait dit Armando à Paris. On se met ensuite d’accord sur le fonctionnement de la réunion de demain et on se quitte. La lumière revient. Parfait, on va aller manger avec Miguel et son neveu.

Le repas est l’occasion d’en savoir plus sur Marcos. Il est apparemment responsable de la communauté depuis 6 ans et c’est quelqu’un de sérieux et reconnu. Il est « promoteur de santé », c'est-à-dire médecin sans titre, mais a une « capacité » reconnue par Cuba. Il pratique notamment l’acupuncture et Miguel nous dit qu’il l’a déjà soigné de cette manière. De toute façon, il a effectivement l’air de quelqu’un de confiance, et c’est le seul des trois responsables à avoir réussi à faire rembourser en temps et heure tous les groupes de sa communauté. Espérons que nous allons réussir à lui faire rendre compte des projets chaque mois.

Nous profitons également du repas pour tenter une proposition de sortie de crise à Chicaman et El Desengaño. Nous proposons que les groupes signent un nouveau contrat où ils reconnaissent ne pas avoir remplie leur part dans l’ancien contrat et donc devoir encore une certaine somme à l’association et où ils s’engagent pour de nouvelles mensualités. L’idée c’est de remplacer un gros paiement qu’ils ne pourront de toute façon pas faire, par de nouvelles mensualités et de leur montrer ainsi que ces mensualités sont nécessaires. Miguel veut être plus dur : ils ne suivent pas le contrat, on ne leur reprête pas. On s’accorde sur le fait qu’il faille apprendre aux gens à respecter le contrat et à payer chaque mois. Je réexplique alors à Miguel notre proposition en disant que pour les groupes qui auront bien remboursé, nous accepterons leurs demandes plus facilement et avec de plus grosses sommes. Pour les groupes qui auront mal remboursé, nous leur ferons signer ce nouveau contrat où ils remboursent par mensualités en 6 mois. Et ensuite, nous prendrons en compte dans la sélection des dossiers qu’ils ont mal payé la première fois, en leur prêtant moins. Et surtout nous leur expliquerons tout ça, pour qu’ils voient bien que cela les pénalise de ne pas payer en temps et en heure. Miguel semble d’accord, nous retravaillerons de toute façon tout ça après notre visite des projets.

Baila baila baila y baila

Dimanche 20 juillet

Cette fois-ci le lever est vraiment plus tardif : 8h. Nous prenons tranquillement un petit-déjeuner, rangeons un peu nos affaires, nous lavons. J’ai toujours trouvé que la douche froide est quelque chose de génial : ça réveille, rappelle que beaucoup de gens ne prennent pas de douches chaudes et surtout quand on reprend des douches chaudes, ceci procure une joie sans égal. On s’apprête à laver quelques unes de nos affaires un ordre de départ est donné. Bon, nous partons donc pour ce que j’avais compris être un bal masqué. En fait on va voir des gens masqués danser. On arrive donc en Zone 7 vers 10h30.

Là-bas se déroule une grande fête du quartier. Nous apprenons que ce à quoi nous assistons n’a lieu qu’une fois l’an pour célébrer le patron de la ville. Sur la rue une vingtaine de danseurs masqués se mettent à danser ce qui s’appelle le « comvite ». Derrière eux, des enceintes géantes dans un camion, des marimbas, des musiciens et un animateur. A la fin de cette première danse, il y a un mouvement de foule que nous ne comprenons pas. Nous comprenons ensuite que nous nous rendons à un autre endroit où les danseurs vont s’exécuter de nouveau. On nous explique que les gens paient pour que les danseurs viennent danser devant chez eux. Nous n’avons alors pas trop d’idée de combien de temps cela va durer, mais ne nous inquiétons pas encore.

Après une troisième danse dans un autre lieu, nous nous rendons chez la famille de la bru de Miguel. Nous sommes estomaqués en rentrant dans l’habitation. Il faut s’imaginer une cour interne de 60m² entourée d’une terrasse carrelée couverte sur laquelle donnent de nombreuses pièces. Sans compter la taille, l’état général de la maison est un cran au-dessus de ce que nous avons pu voir jusqu’ici. Après un verre d’une liqueur rapidement avalée pour ne pas sentir le goût, nous nous faisons expliquer la situation : la famille détient de nombreuses « tiendas » qui sont de très petites épiceries. Miguel en profite pour lâcher aux investisseurs que nous sommes qu’une tienda est un investissement rentable et sûr. Nous retenons cette information et demandons un peu plus d’informations sur la famille.

Trois familles vivent dans cette demeure, c'est-à-dire 27 personnes. Il semble y avoir la place de toute façon. On perçoit de mieux en mieux le mode de vie communautaire ici avec plusieurs cercles, la famille dont la proximité est grande, les amis et le quartier. Nous apprenons ensuite que la famille patronne les danseurs, c'est-à-dire qu’ils vont venir manger ici puis danser devant chez eux. Le fonctionnement de la fête est maintenant clair : les danseurs se font inviter par une dizaine de familles, vont boire un coup ou manger chez elles puis dansent devant chez eux. Le tout suivi par une foule d’une centaine de personnes environ.

En attendant nous discutons avec quelques membres de la famille de la bru. Nous comprenons alors qu’une des personnes avec lesquelles nous parlons était un guérillero. Dans un océan de paroles sur l’injustice sociale, la méchanceté des riches et des Etats-Unis, le comportement inhumain des troupes gouvernementales, nous retenons quelques informations. Premièrement la guérilla est bien plus ancienne que ce que nous avions initialement compris. Elle a débuté dans les années 60. Cependant nous nous faisons confirmer qu’ici elle n’était pas aussi puissante qu’ailleurs : de 2000, selon le guérillero, à 10 000 hommes selon Miguel sans compter le soutien de la population. Les récits de guerre laissent d’ailleurs l’impression que le gouvernement n’a jamais été mis en danger ici. Le guérillero nous explique que le Quiché a été une zone particulièrement touchée par la guerre. Il en attribue la cause à la peur des gens, et à la préférence de ces derniers de ne pas mourir plutôt que de se risquer pour une hypothétique amélioration. De toute façon, en écoutant le guérillero, qui n’est, il est vrai, certainement pas le plus brillant d’entre eux, mon impression d’hier me semble confirmée : ici, les gens préfèrent profiter de la vie que de se révolter. Toute la pensée et la rhétorique de gauche sont ici présentes dans une très faible mesure. Pas de rigueur dans la pensée, ni dans le comportement. Seulement une compréhension globale que la situation est injuste et que ce n’est pas normal. C’est d’ailleurs à une autre échelle ce que nous explique le guérillero lui-même : les gens ne connaissent pas leurs droits et ne peuvent donc pas les défendre. L’ignorance et la peur seraient les deux causes du maintien du pouvoir en place. Sans oublier les puissances occidentales, Etats-Unis en tête.

Les danseurs arrivent, nous découvrons alors leur têtes : de tous âges, ils ne semblent pas fatigués, alors qu’il a fait très chaud ce matin. On discute avec certaines danseuses qui tentent de nous extorquer des mots en français. Mais les « en », les « on » et les « v » de notre langue la rendent imprenable au premier guatémaltèque venu. Ils vont encore danser cinq fois cet après-midi, alors même que quelques averses violentes commencent à tomber. Mais cela ne semble pas trop les déranger, la danse est aujourd’hui reine.

Nous profitons de ce grand repas préparé dans des ustensiles démesurément grands mais dont on veut bien croire, au vu des 27 personnes qui habitent ici, qu’ils servent souvent. La discussion avec les guatémaltèques nous apprend les endroits les plus beaux du monde au Guatemala que nous devrions visiter. J’espère mais ne suis pas convaincu que nous aurons le temps de visiter beaucoup les grandes curiosités de ce pays. Nous avons quand même beaucoup de travail. Nous apprenons également, ce qui nous laisse un peu perplexe, que le Guatemala serait le seul pays multiculturel et multilingue de la région. Le pays est riche, il y a apparemment de l’or, beaucoup de minerais, beaucoup d’eau. J’explique alors qu’en France nous n’avons pas un sol très riche en minerai, ce qui provoque une question tout à fait pertinente : Mais alors, qu’est-ce que vous produisez en France ? Ben euh, alors, en fait, ah oui … des voitures par exemple, on produit beaucoup de nourriture aussi …

Nous repartons sur les routes locales pour suivre les danseurs, mais la pluie se fait plus virulente, ce qui annule une danse, et nous laisse beaucoup de temps pour parler avec des guatémaltèques : en 2012, il paraît que les mayas ont prévu un alignement de planètes confirmée par les scientifiques qui provoquera une baisse d’énergie de la terre. Ce sera la fin, du monde, choix 1, du capitalisme, choix 2, des hommes, choix 3 ? Je mets un peu en doute de telles conséquences terribles, pour me faire confirmer que les gens accordent une certaine crédibilité à ces choses là. Je propose une autre conséquence : ce sera la fin des frijols. Ce qui successivement provoque une certaine hilarité chez les jeunes, et une semi-hilarité chez les plus vieux qui disent qu’effectivement ce sera peut-être la fin de la nature. Nous regardons un peu la dernière danse et rentrons nous coucher très tard. Demain, nous devons partir à 7h.

Fête de jeune fille

Samedi 19 juillet

Le samedi, le lever est plus tardif : à 6h30 Miguel lave sa voiture. Toute la vie est décalée d’environ 2 à 3 heures ici. En aidant Miguel à laver sa voiture, je lui parle du coût de l’essence. En effet, la veille, nous discutions avec benjamin du fait qu’il nous ait dit que cela lui coûtait 7 euros l’aller-retour à son bureau qui est à 15 Km. Un petite calcul de consommation donne du 20L / 100km ce qui nous avait un chouilla interpellé tout comme la facture de 11€ d’essence pour l’aller-retour à l’aéroport. Miguel nous dit même que pour aller dans le Quiché, nous allons avoir besoin de 40L pour faire 170km. J’hésite à lui demander si les voitures guatémaltèques ont un trou dans leur réservoir, mais je met ça sur le dos de leurs voitures et de leurs routes. De plus Miguel me dit qu’ici les litres dans les stations services sont un peu petits : les vendeurs trichent sur la quantité qu’ils donnent. Enfin nous regrettons un peu les bus pris d’assauts mais beaucoup moins chers. De toute façon nous devons faire vite car Benjamin part Dimanche prochain, et la voiture sera plus pratique. Néanmoins, je comprends deux choses : ça va vraiment nous coûter cher et mes autres visites se feront en bus ! Sauf bien sûr quand nous distribuerons des prêts.

Au petit déjeuner, dans une transition sublime, nous lui demandons, si pour éviter ces frais il est possible de demander aux responsables de communautés de suivre les projets, et de limiter à deux visites, une tous les six mois. Cette solution semble l’enchanter. De toute façon, cette année alors qu’il était censé effectuer une visite régulièrement, il ne l’a fait que rarement. Donc notre proposition est en fait juste ce qui se passe déjà, sauf que nous le formalisons et que nous en profitons pour demander aux chefs de communauté de nous fournir les informations à Miguel et à nous en même temps.

Nous passons la matinée avec deux filles de Miguel, Candelaria et Helen Johana, 16 et 11 ans, qui nous emmènent dans un cybercafé où l’on imprime les demandes de prêt que l’on va distribuer. Ensuite nous faisons un petit tour du quartier : quelques maisons rigolotes mais un peu délabrées, une grande usine qui, tenez vous bien, fabrique des légumes, fruits, vêtements et médicaments, une église sympathique et bien entretenue et des bus toujours mythiques, véritables kyrielles de couleurs.

Nous discutons avec elles et prenons conscience qu’une, qui a 16ans ne sait pas utiliser un ordinateur, ni parler anglais. Nous remarquons également que dans la maison, il n’y a pas de pièce où les enfants pourraient étudier, et d’ailleurs nous ne les avons pas vu étudier. Pourtant Miguel accorde une grande valeur à l’éducation, mais il ne semble pas exister ici la rigueur et la hargne. Les gens tiennent à profiter de la vie.
Nous demandons également si les garçons cuisinent ici : apparemment oui. D’ailleurs, on a pu constater que le fonctionnement de la maison n’était pas dogmatiquement sexiste, en ce sens que les hommes participent aux taches ménagères, mais qu’il l’était plus pour d’autres raisons : les femmes qui ici ont des enfants très tôt quittent le monde de l’éducation et du travail. Du coup automatiquement, les hommes sont souvent les seuls à travailler, et pendant ce temps là les femmes prennent l’habitude des tâches ménagères. Un bon exemple est la seconde fille de Miguel, qui avec, à notre avis, un peu moins de notre âge, est déjà mariée et à un fils de quatre ans. C’est déjà une maîtresse de maison parfaite. Malgré cela elle étudie et aura certainement un travail l’année prochaine… Nous mangeons tranquillement, prenons un peu de temps pour écrire. Puis nous partons à 3, pardon 5 heures pour un anniversaire. Ici les 15 ans d’une fille se fêtent grandement, à la limite Bar-mitsva. La famille de la demoiselle a loué un gymnase pour l’occasion, un groupe de musiciens et des enceintes de 4 mètres de haut. Nous devons être à peu près deux cent dans la salle. Nous demandons à Miguel une idée du coût d’une telle fête : rien qu’avec la sono, la location de la salle, il y en a pour quelques milliers d’euros. Nous sommes de plus en plus dérouté par le rapport à l’argent ici : Miguel a quatre filles, dont trois ont déjà eu 15 ans. On a du mal à comprendre que l’université soit trop chère mais qu’un anniversaire ne le soit pas.

La fête est apparemment une tradition guatémaltèque. Après qu’une bonne parties des invités soient entrés, introduits par un présentateur, la famille entre avec la charmante demoiselle en dernier. Après cette cérémonie d’ouverture, la traditionnelle danse entre le père et la fille a lieue, alors que les plats sont servis. Nous mangeons tranquillement puis la salle s’anime, de nombreux danseurs allant tâter la piste de danse, qui représente à peu près la moitié de la salle. Alpagué par Candelaria, je m’essaye également aux rythmes locaux. Les quelques leçons de salsa que j’ai pu avoir m’aident un peu mais ici les musiques sont vraiment très rapides, et grâce aux nombreuses fêtes, les danseurs sont habiles. Benjamin prend ensuite le relais, et j’éclate de rire en voyant une piste de danse de hauteur 1m60 environ, avec une seule tête qui dépasse, celle de benjamin.

Tout cela à un air un peu vieillot et enfantin à la fois. Enfantin parce que tout ça ressemble quand même beaucoup à une présentation maladroite des demoiselles à la société, disons un pré-mariage. D’ailleurs sur les albums photos de Candelaria, pour ses 15 ans, elle portait une robe, dont on aurait juré que c’était une robe de mariage. Mais on ne peut qu’admirer la vie festive locale, qui rassemble les gens de tous les âges et qui est symptomatique d’une société, certes beaucoup moins adulte, mais quand même beaucoup plus funky que la notre.