Esperar

Lundi 21 Juillet :

Journée chargée. Tout commence par un réveil tardif de la maison à 6h30. Nous même nous levons doucement à 6h45 et nous préparons à partir. Nos affaires prêtes, nous nous enquérons de l’état de la maisonnée : Miguel n’est pas levé à 7h pour la première fois depuis que l’on est là, normal on devait partir à 7h. Pas d’affolement, on sort l’ordinateur et on raconte la journée d’hier, on travaille un peu d’espagnol. D’ailleurs on a atteint une limite : impossible de retenir un mot de plus en espagnol, on en a déjà trop appris en quelques jours.

7h30 : lever de Miguel. 8h : nous déjeunons et comprenons que de toute façon la réunion de ce soir à 4h a lieu demain matin à 9h. Miguel a par ailleurs trouvé un chauffeur après un léger incident, la veille, avec la voiture, qui l’a énervé. Je voudrais bien connaître le dialogue qu’il y a eu entre lui et notre chauffeur : « Au fait, tu peux me rendre un petit service ?
- Oui, dis toujours !
- Je pars dans la montagne pour une semaine dans une heure, tu peux nous conduire- D’accord, on passe prendre des affaires à moi et c’est parti »
De 9h à 10h30 nous discutons avec Candelaria. Elle n’a école que l’après-midi de
2h à 6h. Nous lui demandons si c’est toujours le cas : oui. On ose lui signaler la nullité extrême de ce qu’elle regarde à la télé « Amor Real », une série genre Dallas au Mexique à la fin du 19ème siècle avec des décors et des discours en cartons. « La télévision, c’est mal !
- Pourquoi ?
- Bah, ça ne sert à rien, et tu pourrais faire autre chose de mieux en attendant, genre apprendre l’anglais ! » De toute façon, il n’y a pas de pièce pour étudier, et je crois définitivement que ce n’est pas dans les mœurs d’étudier à la maison ici.

10h30 : On est un peu surpris par la qualité de la route qui se dégrade de plus en plus, on comprend ensuite qu’on va vraiment chercher les affaires de notre chauffeur, qui est le fils du frère disparu de Miguel. La qualité de la route devient clairement ahurissante genre trous de plus de 50cms de profondeur, à éviter même avec le 4x4. Par ailleurs la pente de la route est forte, les habitations sont dans des terrains difficiles, et vraiment peu accessibles. J’aperçois un panneau de nom de rue : « Calle Esperanza ». Esperar en espagnol signifie à la fois attendre et espérer, ici, je crois surtout qu’ils attendent. Nous nous arrêtons à un endroit et en descendant de la voiture nous constatons que le caractère insalubre des maisons de Guatemala Ciudad n’a rien a voir avec la misère qui règne ici. Nous comprenons que nous sommes dans un bidonville. Miguel me présente à l’épouse de son frère qui semble intimidée et écourte la conversation tant qu’elle le peut. Ne pas avoir de mari ici, c’est être dans une situation très difficile. Je me souviens des personnes d’ATD-quart monde me disant que la misère fermait les gens, qui s’enfonçaient dans une paranoïa violente.

Nous quittons ensuite ce lieu de misère et rejoignons la voie rapide, goudron et lignes tous neufs. On sourit en se rappelant Miguel qui nous disait qu’on allait avoir besoin de 7h pour faire 170 kms. On en profite pour expliquer à Miguel, que ouvrir le toit ouvrant lorsque l’on arrive sur l’autoroute n’est peut-être pas une bonne idée pour la consommation d’essence. 30km plus loin, l’autoroute traverse une ville, donc on fait du 30km/h pendant un petit quart d’heure. Ensuite, ça redémarre, du bon goudron, c’est bien, niquel, ah … on me dit que la route est en construction sur la suite. Et c’est parti pour les petites routes de montagnes défoncées pendant quelques heures.
Beaucoup de petits détails rythment notre voyage : le premier c’est le panneau « Attention, la route est en construction et donc dangereuse » 60 km après que l’on ait quitté le moindre signe d’une route qui se tienne. Ensuite le petit contrôle de police qui va bien : « Les papiers des gringos derrière.
- Nous sommes français- Et que faites-vous ici ?
- Ils viennent visiter des projets dans le Quiché. Nous sommes d’une association » Miguel montre sa carte de Concodig. Du coup le policier fait mine d’aller vérifier nos papiers. Après trente secondes de bluff, il lâche l’affaire et nous laisse partir.
Deuxième contrôle de police : ils cherchent si on a des fruits. Apparemment il y a un parasite dans les fruits du sud, et le gouvernement bloque toutes les routes pour aller vers le Nord. Décor : montagnes vertes, vallée grandes et maisons en béton. Nous arrivons à Quiché, c'est-à-dire Santa Cruz del Quiché. La ville est bien plus jolie que Guatemala Ciudad, il y a même quelques pavés sur la grande place devant l’église. En mangeant, je demande à Miguel, si la situation est plus dangereuse que l’année dernière, et si vraiment, on ne peut prendre de bus. Apparemment non : il y a de plus en plus d’attaques armées. Je prépare le terrain, parce que de toute façon, je vais devoir le prendre en six semaines ici, l’essence est vraiment trop chère. Mais ce sera en slip et encore.
Nous repartons. Il pleut sévèrement, et vu la qualité des routes, cela veut dire qu’il y a un lac tous les 10m sur la route. Nous admirons le décor :
« Miguel, pourquoi quasiment toutes les maisons ont des structures métalliques qui sortent de leur toit ?
- Ils attendent un deuxième étage.- Ah ! » Esperar ici est vraiment un mot rigolo : tous les gens préfèrent espérer et/ou attendre un deuxième étage plutôt que d’avoir une maison jolie. Du coup le décor est vraiment laid, constitué de maisons en béton armé, non peintes et non finies. Benjamin me fait quand même remarquer que les maisons finies à deux étages ne sont pas trop mal. C’est vrai mais on en croise une tous les trois kilomètres.

Quand il n’y a pas de villes le décor est assez beau, ces montagnes vertes dans le brouillard me rappellent le Drakensberg, une sorte de massif central en plus haut avec des vallées à la fois plus grandes, mais des montagnes plus escarpées. Revoilà la ville ; je note une caractéristique non sans sens : les maisons peintes sont les maisons où il y a de la publicité. C'est-à-dire que les seules couleurs que l’on voit sont celles de pepsi and co … S’il y a une chose que les européens ont définitivement détruit ici, c’est la culture architecturale : il n’y en a tout simplement pas.

Arrivée grandiose à Ixtahuacan : une … hum, disons voiture avec une pierre derrière bloque le pont. On dirait un décor de guerre, mais celle-ci est finie depuis 12 ans. En fait le pont est détruit en partie, nous le contournons donc via un petit pont de remplacement et atteignons une petite ville assez sympathique. Certes les rues n’en sont pas, mais notre hotel est sympathique, notre chambre agréable avec en plus une douche à l’intérieur, et je crois même qu’on aura de l’eau chaude. Ayant un peu dormi dans la voiture, nous démarrons d’entrée de jeu. On se fait accompagné, comme toujours, par Miguel pour aller faire des photocopies. Là, vue rassurante emplie d’espoir, nous entrons dans une papeterie qui indique le signe d’une activité intellectuelle dans la ville. C’est en fait la première fois au Guatemala que je vois le signe d’une telle activité. Nous cherchons ensuite à aller au café internet. Comme ce n’est pas loin, on dit à Miguel qu’il n’est pas nécessaire qu’il nous accompagne. Nous arrivons au café, nous asseyons, ouvrons Mozilla, quand soudain … coupure de courant. « Dans tout le quartier ? Demandons-nous
- Dans toute la ville » Comme cela peut durer longtemps nous partons rejoindre Miguel. En chemin la lumière revient mais le café a fermé, nous y irons demain.

Nous préparons avec Miguel la réunion de demain. Il n’y aura pas que les groupes qui ont fait un prêt mais beaucoup plus de gens. Ce sera donc à la fois une réunion d’évaluation du projet, mais aussi de présentation de celui-ci. Marcos, le responsable de la communauté locale arrive. Nous faisons sa connaissance et celui-ci nous parle des projets. Tout le monde rembourse bien, mais il est vrai que c’est parfois plus difficile. Un des groupes a eu un mort pour cause de problèmes intestinaux. On demande si c’est la chèvre, malheureusement non. Un des problèmes est qu’apparemment les mois de la saison des pluies sont très difficiles financièrement pour les gens ici. Ce qui est dommage, c’est que puisque l’on vient en hiver, tous nos prêts se terminent en hiver. Du coup la fin des prêts est le moment le plus dur. Je suis donc persuadé qu’à Chicaman et à El desengaño, ils n’arriveront pas à rembourser leurs prêts.

On perd la lumière. J’expérimente donc la réunion de travail à la lampe torche. Nous essayons d’expliquer à Marcos que ce serait génial s’il pouvait nous rendre compte des projets à Miguel et à nous, cela une fois par mois. Après quelques diversions et après l’avoir dit trois fois, je comprends qu’il faudra que je le redise demain et que l’on fixe un processus, sinon cela ne marchera pas. Mais l’argument que nos partenaires en France nous confieront plus d’argent, si notre transparence est meilleure semble porter. Je lui demande quels ont été les problèmes pour les gens ces derniers temps, augmentation du prix de l’essence, des matières premières ? Non le maïs n’a pas encore trop augmenté ici. C’est l’augmentation brutale du prix des engrais chimiques qui a mis tout le monde en situation délicate. C’est aussi ce que nous avait dit Armando à Paris. On se met ensuite d’accord sur le fonctionnement de la réunion de demain et on se quitte. La lumière revient. Parfait, on va aller manger avec Miguel et son neveu.

Le repas est l’occasion d’en savoir plus sur Marcos. Il est apparemment responsable de la communauté depuis 6 ans et c’est quelqu’un de sérieux et reconnu. Il est « promoteur de santé », c'est-à-dire médecin sans titre, mais a une « capacité » reconnue par Cuba. Il pratique notamment l’acupuncture et Miguel nous dit qu’il l’a déjà soigné de cette manière. De toute façon, il a effectivement l’air de quelqu’un de confiance, et c’est le seul des trois responsables à avoir réussi à faire rembourser en temps et heure tous les groupes de sa communauté. Espérons que nous allons réussir à lui faire rendre compte des projets chaque mois.

Nous profitons également du repas pour tenter une proposition de sortie de crise à Chicaman et El Desengaño. Nous proposons que les groupes signent un nouveau contrat où ils reconnaissent ne pas avoir remplie leur part dans l’ancien contrat et donc devoir encore une certaine somme à l’association et où ils s’engagent pour de nouvelles mensualités. L’idée c’est de remplacer un gros paiement qu’ils ne pourront de toute façon pas faire, par de nouvelles mensualités et de leur montrer ainsi que ces mensualités sont nécessaires. Miguel veut être plus dur : ils ne suivent pas le contrat, on ne leur reprête pas. On s’accorde sur le fait qu’il faille apprendre aux gens à respecter le contrat et à payer chaque mois. Je réexplique alors à Miguel notre proposition en disant que pour les groupes qui auront bien remboursé, nous accepterons leurs demandes plus facilement et avec de plus grosses sommes. Pour les groupes qui auront mal remboursé, nous leur ferons signer ce nouveau contrat où ils remboursent par mensualités en 6 mois. Et ensuite, nous prendrons en compte dans la sélection des dossiers qu’ils ont mal payé la première fois, en leur prêtant moins. Et surtout nous leur expliquerons tout ça, pour qu’ils voient bien que cela les pénalise de ne pas payer en temps et en heure. Miguel semble d’accord, nous retravaillerons de toute façon tout ça après notre visite des projets.

2 commentaires:

nicolasmeunier a dit…

Vamos niños, terminadas la fiestas, le travail commence ! Ne lachez jamais Marcos, il est l'homme de la situation et nous est apparu très bien organisé. Il nous avait accompagné al desengaño, voyez s'il peut venir avec vous encore ! Il sera surement d'une aide précieuse pour convaincre de l'intérêt d'un remboursement mensuel là oú ca a échoué. (alors qu'au début, je rappelle que c'est dans sa communauté qu'il y avait eu une grosse rétissence à payer tous les mois et pas en une fois alors que les autres villages avaient acceptés sans poser vraiment de questions...). Va falloir réinsister comme des malades mais vous avez l'air de maitriser la situation. Court-circuiter Miguel pour avoir des nouvelles paraît une merveilleuse idée :)

Saluez Marcos de ma part ! Si l'engrais chimique est chere, alors l'idée d'investir dans les chevres pour de l'engrais organique parait encore plus intéressante et plus seulement pour des considérations d'érosiion de sol. Tenez nous au courant des décisions de prêts dans la communauté quand vous les aurez prises. Essayez de noter au maximum ce que les gens ont dépensé et ont gagné (s'ils ont gagné qqch pour le moment...) avec le projet. Essayez aussi de parler avec les groupes directement, et pas seulement dans le cadre de grosses réunions pour avoir des infos plus précises que les gens oublieront facilement lors des grosses réunions...

Je vieux chouffise, je sais, mais je peux pas m'empêcher... Veuillez me pardonner :)

Bref, bon courage et bon frijol !

guillaume.virag a dit…

j ai lu ton commetaire apres coup, mais c est a peu de chose pres ce que nous avons fait, :)