Ambassade et Mayas

Vendredi 18 juillet


Vendredi matin, nous nous rendons à l’ambassade française pour remercier une stagiaire qui nous a aidé et obtenir encore quelques informations, notamment une adresse de notaire, des banques sûres, etc …
Miguel finit de nous expliquer la démocratie locale. Ce me semble être une oligarchie assez bien organisée : il y a bien un gouvernement, une assemblée et un président élu, mais ceci qui chez nous constitue la colonne vertébrale de l’état, n’est ici qu’un des trois piliers de l’état et pas le plus puissant. A coté il y a l’armée et la sécurité nationale qui sont assez liées. Miguel nous dit qu’il y a un « estado mayor presidente » qui est plus ou moins élu par les puissants du pays, c'est-à-dire les colonels de l’armée et de la sécurité nationale et quelques membres du gouvernement. Celui-ci semble détenir un certain pouvoir sur le gouvernement et le président via quelques directives dans les ministères qui vont bien. Du coup, 14 familles détiennent à tour de rôle le pouvoir dans le pays, et même si un président de centre gauche a été élu, ses mains sont en fait très peu libres. Et apparemment tous ces gens là ne souhaitent pas vraiment développer le pays, si cela implique une perte de contrôle d’un quelconque pan de l’économie. Un exemple, la compagnie pétrolière vénézuélienne est interdite ici. Conséquence : les prix de l’essence sont très élevés, de l’ordre de 80 cents / litre à comparer avec le 0,1 € de prix du bus, mais au moins les dirigeants gardent le contrôle de la distribution de pétrole ici.

L’ambassade est dans la zone 14, c'est-à-dire fleurie et sans bus, explication de miguel : les gens ont ici tous des voitures et n’utilisent pas le bus. Nous réglons les deux trois petites choses que nous avions à régler à l’ambassade et nous dirigeons vers le bureau de miguel. En y allant nous passons devant le ministère de la défense, qui est entouré de statues, de fleurs et de jets d’eau, même l’église d’en face semble être le plus vieux bâtiment de la ville, et en tout cas parmi les plus beaux. C’est un visuel très stéréotypé, un apprentissage pour gamins de l’inégalité. On se dit que les accords de paix n’ont pas été profitables à tous … Miguel nous dit qu’il y avait des clauses sur la redistribution des terres, mais rien n’a été fait, 80 % du territoire appartiennent aux quatorze familles précitées.
Dans le bus, un homme tatoué entre avec son fils. Après un discours incompréhensible pour nous, tout le monde lui donne un peu d’argent. Miguel nous explique ensuite que c’est un membre des Maras, qui expliquait qu’il s’était retiré parce qu’il avait deux fils et qu’il avait donc besoin d’aide. Si vous êtes lecteur de courrier international, vous n’avez pas manqué le n° sur les gangs. Sinon les Maras sont des bandes organisées très violentes et assez internationales qui sévissent en Amérique centrale. A Guatemala Ciudad, il y en a plusieurs dont la Mara 18, assez réputée. Miguel nous confirme qu’ici la délinquance est organisée, d’où les militaires dans certains bus.

Au bureau, nous continuons de terminer, ce qui honnêtement aurait du être des préparatifs, du type création de blog, envoi d’un mail à la sœur pour qu’elle gère les chèques que l’on a pas eu le temps d’encaisser, etc … Nous allons ensuite manger dans un restaurant près du bureau où la cuisine est cette fois-ci plus européenne et donc moins drôle. Nous continuons d’essayer de comprendre la situation ici. 22 langues et cultures différentes, quatre grandes « ethnies » (trois indigènes dont les mayas, et les latinos, descendant des espagnols), des frontières tracées par des contrats entre les différents grands propriétaires, Miguel nous explique même que les robes mayas sont en fait des uniformes : les propriétaires qui voulaient marquer leur territoire sur les personnes également ont fait porter aux populations locales qui leur appartenaient des uniformes qui varient donc quand on change de région, c'est-à-dire de propriétaire. Malgré cela, les populations qui sont restées dans les campagnes ont gardé une grande partie de leur culture, notamment leur langue. D’ailleurs tous ne parlent pas espagnol, heureusement, des responsables de communauté traduiront pour nous et d’ailleurs Miguel est lui-même originaire du Quiché.
De retour au bureau, nous nous penchons sur les questionnaires de satisfaction que en fait nous ne distribuerons pas, beaucoup de personnes ne sachant pas écrire. Au lieu de ça, nous nous sommes mis d’accord avec Miguel pour passer voir un à un les projets en leur posant les questions que nous préparons, puis nous ferons une grande réunion où chacun parlera de ses problèmes et de comment il les a réglé, de manière à créer une expérience commune. Miguel nous demande comment nous comptons nous rendre dans le Quiché, en bus ou en voiture. Comme nous avons très peu de temps nous choisissons la voiture. Puis il faut dire que le « hay muchos asaltos » de Miguel expliquant l’insécurité dans les bus nous convainc un peu plus.
Miguel nous dit que nous devrons partir tôt à cause de la pluie, mais une maya arrive et nous décalons donc le départ de deux heures. Miguel nous a donné un programme réunissant les programmes de la campagne présidentielle de l’année dernière que nous feuilletons en attendant. Nous négocions de les ramener en France.
Nous rentrons chez lui et comme sur le chemin, je lui demandais si les mayas avaient une culture musicale, il nous fait écouter la marimba. Ce nom désigne à la fois un instrument proche du xylophone et la musique que cet instrument produit. C’est une musique dansante qui plonge l’auditeur dans une atmosphère île paradisiaque, tahitiennes et piñacolada. Aloha ! Tout en écoutant la musique nous prolongeons notre investigation et comprenons que Concodig, l’association de Miguel était financée directement par l’O.N.U mais que le gouvernement a décidé, il y a quatre mois, que c’était de son ressort de régler les problèmes de justice. Du coup, il a demandé à l’O.N.U de passer par lui pour financer les associations qui s’occupaient de recherche de corps et de vérités. L’O.N.U finance donc désormais le gouvernement qui … oublie de financer les associations depuis quatre mois. Mais normalement la situation devrait se régler par un paiment rétroactif, soit de l’O.N.U soit du gouvernement.

Nous regardons ensuite quelques vidéos, notamment celles de la présence de Loïc et Nicolas l’année dernière. C’est assez impressionnant il faut l’avouer: nous avons devant nos yeux ce que nous allons devoir faire, et c’est loin d’être facile. Nous manquerons notamment d’aisance en espagnol. Nous négocions pour que l’on soit filmés cette année également et que l’on puisse récupérer une copie des vidéos pour mettre tout le monde dans le bain en France.

Dans les vidéos, on aperçoit des ruines mayas. Je demande à Miguel si les mayas n’étaient déjà pas sous la coupe des aztèques avant la venue des espagnols. Il me répond que si mais que ce sont les espagnols qui ont détruit tous les temples mayas. Mais il m’explique que les mayas, par leur histoire, ont désormais l’habitude de se présenter une identité simplifiée : ils disent qu’ils sont guatémaltèques et catholiques si vous leur demandez, alors que leur culture est restée clairement maya. J’essaye d’en savoir plus sur le catholicisme local, car il me semble quand même bien réel. Effectivement, les mayas ont apparemment décidé que prier pour leur dieu et pour le dieu des catholiques pouvaient très bien se faire ensemble. Pourtant leur religion ne me semble pas monothéiste ! Miguel m’explique qu’il y a effectivement plusieurs dieux, notamment du vent et de l’eau. Les mayas sont concrets : leurs dieux doivent l’être aussi. Alors le dieu des catholiques doit les rassembler un peu tous ou alors prendre plusieurs formes concrètes. Mais bien sûr si vous demandez en quoi il croît, il vous répondra qu’il est catholique …

Ensuite, comme nous expliquons à Miguel que nous sommes un peu surpris de découvrir dix personnes différentes chaque jour dans sa maison, Miguel nous dit que ce sont simplement toute sa famille et leurs amis. La maison est effectivement une sorte de moulin à personnes. Malgré la ville, la maison est une sorte de petit village à elle toute seule. De toute façon, toute sa famille vit à quelques maisons d’ici. Il a cinq fils et quatre filles et nous comprenons un peu mieux sa réponse, quand nous lui demandâmes si ses enfants iraient à l’université : c’est trop cher et seuls les riches y vont. Nous lui avions demandé le prix, et il n’avait pu nous répondre, signe que de toute façon, ce n’était même pas pensable.

Il nous explique que ses neveux viennent le voir souvent, son frère « ha desaparecido ». Interloqué, nous lui demandons la signification de disparaître au Guatemala. Il nous explique que ça veut bien dire disparaître un jour sans laisser de nouvelles. Nous lui demandons les causes possibles : certains sont devenus membres des maras, d’autres travaillent pour les associations de défense des droits de l’homme et dérangent un peu trop. Je demande à Miguel si son frère travaillait comme lui pour de telles associations. Apparemment non, mais ce pourrait être une forme d’intimidation contre lui … Penser que son frère s’est fait enlevé du fait de mon activité, ça me bouleverserait un peu quand même ! C’était en 1992, en pleine guerre.
Miguel nous explique qu’il y avait ici comme en Colombie des Patrouilles d’Autodéfense Civile. Je lui demande si les membres de ces PAC étaient des latinos, en fait non, c’étaient des indigènes. La stratégie de la junte était simple : est déclaré illégale et interdite toute association de défense des droits de l’hommes, créer un écran d’indigènes entre la guérilla et eux : les PAC, payées pour détruire et piller des villages. Loïc m’avait dit que nous travaillions avec des guérilleros. A mon sens il n’en est rien, ce sont juste des gens qui travaillaient déjà dans des mouvements sociaux et qui ont été désignés comme guérilléros par les autorités. Lorsque je demande si la situation est meilleure que pendant la guerre, il me répond que si le calme règne un peu plus, la pauvreté également. Mais il ajoute que la guerre est mauvaise, et qu’il préfère la situation d’aujourd’hui.
Il nous explique alors l’origine de la guerre : au début des années 80, un gouvernement de gauche a été élu (de M. Uzman, si j’ai bien entendu). Après qu’il ait tenté quelques mesures sociales, les militaires, c'est-à-dire les riches du pays, l’ont renversé, soutenus par les Etats-Unis. Cela ressemble à beaucoup d’histoires dans les pays d’Amérique centrale et du Sud. Mais ici, la guérilla ne semble pas avoir été très puissante, et la guerre devait surtout profiter aux militaires. D’ailleurs les accords de paix sont apparemment dus à la pression internationale, notamment des Etats-Unis de Clinton.
Nous dînons en discutant musique et danse. Nous mangeons de la viande cuite à l’eau enroulé avec des oignons, de la sauce tomate et une sorte de mayonnaise dans un pain rond et sec. Ici la cuisine est toujours bonne, seuls les frijols aux petits-déjeuners piquent un peu, mais aident au réveil. Demain soir nous irons à une fête où nous danserons. Apparemment tout le monde sait bien danser, il y a beaucoup de fêtes ici et nous pouvons comparer ce que fut certainement notre société et ce qu’elle est aujourd’hui.

2 commentaires:

nicolasmeunier a dit…

Petite correction, il y a 23 langues au Guatemala et non 22... Sinon, attention : tout ce que dit Miguel est tout de même à prendre avec de (grosses) pincettes...
Le terme guerilleros est aussi à prendre avec des pincettes. Bien que la guerre civile se déclare sur fond de guerre froide, elle s'est pas mal caractérisé dans les faits par une opposition hispano-maya. Tous les opposants au régime, que ce soit pour des raisons politiques (par exemple Armando) ou ethniques (certains chefs de communauté que vous rencontrerez, ou le vieux Tio Pedro d'El Desengaño), ont été considérés comme des guérilleros. La plupart d'entre eux ayant pris les armes, je ne pense pas que tu puisses dire que ce soit simplement d'anciens membres de mouvements sociaux...

Sinon, tu triches, t'écris tout le même jour et je me retrouve à occuper mon temps au boulot à lire le blog, ce qui est maaaaal...

guillaume.virag a dit…

crois moi je n ai pas le temps de tout ecrire le meme jour, c est juste que je vais tous les 3 jour sur internet, :)

et oui c est maaal :)