El Desengaño

Jeudi 22 juillet

Le lever est un peu dur. Nous n’avons dormi que six heures, et nos activités ici sont un peu fatigantes. J’en oublie mon cable d’appareil photo, ce qui fait que je ne pourrai mettre mes photos sur le blog tout de suite. Snif. Ce qui me fait penser que j’ai oublié de décrire le système de chauffage des douches ici : sur le pommeau un chauffeur électrique est installé qui chauffe l’eau au moment même où elle y passe. Donc il y a le choix entre beaucoup d’eau pas chaude et un peu d’eau chaude. Après quelques décharges électriques, on s’y fait quand même bien. Nous partons en avance de 20 min sur l’horaire prévu pour El Desengaño, ce qui est un bon exploit. Dans la voiture, nous nous moquons un peu de nos anciens, car le souvenir de leur récit pour arriver à El Desengaño était un parcours épique d’une journée dans les montagnes guatémaltèques quand Miguel nous dit que cela ne nécessite que 1h à 1h30. En chemin, nous rencontrons une amie de Miguel qui lui dit que les hommes ont tout payé à Cristobal mais qu’elle ne veut pas que Cristobal sache qu’elle nous a dit cela. Bon, ça commence bien.

Nous laissons la voiture et partons pour une petite rando dans les montagnes, ça manquait au voyage pour l’instant. Les Pyrénées avec une flore un peu plus tropicale, ça ne se refuse pas. Nous allons prendre notre petit déjeuner au bord d’une source. En bas, un vert pâturage au bout duquel prend place une petite maison en bois accolée à un ruisseau rappelle les paysages suisses. En haut de grands arbres, notamment des pins font penser à une forêt tropicale. Enfin, derrière nous, un champ de maïs nous rappelle à nos obligations, nous repartons à travers ce dernier. Perdu dans les champs de maïs, grimpant les pentes boueuses et glissantes, passant sous des barbelés, nous profitons vraiment de notre randonnée. Nous retournons sur le chemin et progressons à travers les montagnes guatémaltèques. Un décor idyllique s’offre à nos yeux : le soleil pas encore bien levé éclaire les champs de frijols qui recouvrent toute la montagne d’en face tandis qu’au bout du chemin une école pointe son toit entre quelques arbres attirés par la rivière qui coule au fond de la vallée. Nous arrivons. L’école qui va à peu près jusqu’au collège est quand même bien délabrée et le terrain de basket qui lui fait face est inondé. Le terrain de jeux est lui un paradis pour enfant, l’école étant située juste à coté de la rivière. Nous progressons un peu plus dans les terres pour arriver à la première maison, celle de la responsable du groupe de femmes.
Micaela Magdona est professeur mais ne semble pas gagner d’argent avec cela. Elle nous explique qu’elle a remboursé 6 mois et nous montre même les reçus. Les paiements vont de octobre à février, puis un a lieu en juin. Nous lui demandons ce qui s’est passé : une fièvre de poulets à décimé beaucoup de projet, et elles ont donc décidé de payer tout en août et le feront. Elle a pas mal géré son affaire, elle est passée des poules au porc et à une chèvre. Aujourd’hui je suis à la ramasse de toute façon, et comme miguel m’explique qu’elle a acheté un « coche », j’imagine une petite voiture ou brouette alors que c’est un porc. Tant mieux, après explication, nous en rions et ça détend l’atmosphère, toujours un peu tendue quand nous arrivons, cahier à la main pour poser trois mille questions.

Miguel nous traduit presque totalement depuis hier. De l’espagnol au Quiché, de l’abstrait au concret, du pas clair au clair. Ce qui aide beaucoup. De toute façon il faut avoir conscience qu’ici on ne ferait strictement rien sans Marcos et Miguel. Sans eux, on peut rentrer chez nous : ils peuvent communiquer avec les gens à trois titres : ils sont petits et bronzés, ils parlent la langue locale, et surtout ils connaissent depuis longtemps les gens qui leur font confiance. D’ailleurs Miguel qu’on a beaucoup critiqué cette année pour son manque de communication est très sérieux avec nous. Malgré une petite touche locale dans le travail, nous travaillons très bien et très vite depuis que nous sommes arrivés. A mon sens, c’est juste quelqu’un qui ne sait pas utiliser Internet, d’ailleurs personne dans sa famille ne semble savoir, et à qui il faut donc téléphoner chaque mois pour obtenir des informations.
Le prêt, c’est très bien, le taux est faible, le projet a plutôt bien marché, une chèvre coûte 75Qz petite, se vend 200Qz grande, un poulet s’achète 25Qz se vend 100 après 6mois, le porc se vend 500Qz, elle préfèrerait payer tous les trois mois, son mari gagne 30Qz par jour de travail, elle n’a pas d’autre revenus que ceux du projet, elle file les informations à Cristobal souvent qui est passé ce matin pour la prévenir de notre venue. Je commence à être un peu habitué à questionner les gens, à telle point que ça en devient une routine un peu soûlante, tant les réponses se ressemblent souvent. Enfin, il faut le faire avec sérieux, ce que l’on fait. Nous la remercions pour toutes ces informations et elle nous accompagne visiter les autres membres de son groupe. Quelques traversées de champs plus loin, nous arrivons. Ici le concept de village est très différent d’en France, ce sont souvent des maisons isolées situées à 200m les unes des autres et non un assemblement de maisons.

Le porc est l’investissement gagnant de la saison, ça s’achète 100Qz, se revend 500Qz. Et c’est ce qu’à fait la madame avec son prêt : acheter un porc le revendre, en racheter un, le revendre. Vous noterez que les prêts sont de 500Qz et non de 100Qz. C’est que notre cliente est un cas intéressant. En fait elle a utilisé une grosse partie de son prêt pour de la consommation. Nous lui demandons sa situation. Sans mari, elle n’a aucun autre revenus que ceux du projet et de son fils de 15 ans qui étudie à moitié, travaille à moitié. Ici, le mieux le projet marche, plus son fils étudie. Je crois que comme impact social, c’est assez clair. Par ailleurs, nous arrivons enfin, en fin de tournée, à nous approcher de notre questionnaire de satisfaction sur tous les points. Il nous manquait jusqu’ici les indicateurs sociaux. Enfin, je veux bien vous voir aller chez des mayas leur demander combien ils gagnent et si leur fils travaille ou étudie et jusqu’à quel âge il va étudier. En fait, nous étions arrivés dès le début, malgré notre culture française, à demander aux gens à combien s’élevaient leurs revenus. Mais là, nous commençons à pratiquer assez bien l’inquisition de la situation familiale. Nous la saluons, la remercions : « maltioch » et continuons notre visite. Une des femmes n’est pas là, nous n’irons donc pas la voir, nous allons directement chez une autre membre du groupe.
Là, la madame qui avait acheté 10 poules a été touchée de plein fouet par la fièvre : elles sont toutes mortes en avril, alors qu’elles auraient du vivre 3 ans. Pour la première fois, me semble-t-il, on tombe sur un projet qui a violemment perdu de l’argent. Après quelques calculs, même en donnant une valeur à tous les œufs qu’elle a mangé, elle a perdu de l’ordre de 300Qz, c'est-à-dire plus de la moitié du prêt. Un léger sentiment d’échec traverse mon esprit. Mais la madame veut absolument recommencer. Bon, ça nous redonne un peu d’énergie et on la questionne donc. Le coûts et revenus de son projet, sa situation familiale. Là, on est rodés. Ce qui nous attriste quand même, c’est qu’elle nous dit que le paiement en août l’affectera quand même beaucoup. Ca me paraît clair, les autres vont vendre un porc, elle, va devoir se débrouiller autrement. Certainement le travail du mari aidera.

On s’apprête à partir, quand Miguel nous rappelle. Nous allons voir quelque chose de « clandestino », c’est juste ce que j’ai compris. Nous arrivons devant une planche de bois partiellement recouverte de terre qui constitue la partie supérieure d’une tombe clandestine. Marcos informations service nous explique la situation : A El Desengaño, les militaires ont établi un camp dans les années 81, 82 qui nous semblent être le cœur de la guerre. Pour ce, ils ont tout brûlé et tout rasé en tuant les gens qui n’étaient pas partis. A partir de là, ils sont allés décimer tout ce qu’ils trouvaient dans la région. La région est donc plus ou moins un immense cimetière où on trouve des tombes dans son jardin, comme ici. Nous n’y touchons cependant pas, Miguel veut obtenir une autorisation du gouvernement pour enquêter, ce qui est son travail actuellement. Pourquoi les gens sont revenus ici ? Tout simplement parce qu’ils étaient refusés dans les autres communautés. Il y a une forte xénophobie ici où le pays est le village. Marcos nous disait même qu’on lui demandait parfois, à lui mam, ce qu’il faisait dans le Quiché … Dans les années 1998-99, les gens sont donc revenus de leurs planques montagnardes pour s’établir de nouveau à El Desengaño.

Nous passons chez la dernière membre du groupe qui n’est pas non plus là, et allons chez l’épouse d’un des membres du groupe d’hommes. Le groupe d’homme est constitué de personne assez riche. Eux ont acheté un veau et vont le revendre là. Ce type de projet pose quand même des problèmes, car il y a zéro revenus réguliers. On est un peu gentil avec notre politique de paiement tous les mois qui est fortement inadaptée à plus de 80% des projets. Nous lui posons gentiment les questions désormais toutes prêtes et partons pour une pause aventure : la cascade d’El Desengaño. Au milieu de la forêt tropicale, faisant beaucoup de bruit, une cascade nous appelle et nous la rejoignons non sans mal. Là nous quitte la responsable du groupe de femmes qui nous avait accompagné jusque là et nous commençons à rebrousser chemin. Je crois que l’on va voir les hommes, mais m’inquiète parce que je trouve qu’on rebrousse beaucoup chemin. Miguel me dit qu’ils ne sont pas là, alors je lui demande si on peut voir les épouses ! En fait, l’une d’entre elles nous accompagne déjà et nous irons voir l’autre membre à Uspantan. Mister Marcelino qui nous avait dit qu’il achèterait quatre moutons a en fait passé tout l’argent dans ses études d’avocats. Ca ne me dérange qu’à moitié, mais bon, ça serait sympa de savoir qu’on fait des prêts pour de l’éducation et pas des moutons ! J’en profite pour me faire confirmer les prix de tous les animaux que j’ai déjà entendus quatre fois dans la matinée, ça correspond à peu près, parfait.

Nous la laissons et allons voir notre dernier gus de la tournée. Lui est carrément riche : il gagne 150€ par mois ce qui est beaucoup ici. Il nous explique que le prêt c’est parfait et qu’il achèterait certainement un autre veau l’année prochaine. Il nous demande également si nous pouvons faire des prêts pour l’éducation. J’ai envie de lui dire qu’on vient d’en faire un, mais je lui dis surtout qu’on ne sait pas faire, et que ça va demander beaucoup de travail, d’accords de responsables de l’association pour que ça se fasse. Donc certainement pas dès septembre. Je me renseigne quand même pour savoir ce que ça représente : 3000Qz/an pendant quatre ans. Ca fait qu’en étalant les remboursements, c’est un prêt de 12000Qz sur à peu près 10 ans. Ca se fait, mais il y a une once de préparation comme je le disais au monsieur. Par ailleurs, ici il est clair qu’on ne traite pas avec les plus pauvres, donc de toute façon, il faudra vraiment cadrer ce que nous voulons faire et avec qui nous voulons travailler, notamment en question de répartition d’argent par catégories de personnes.
Pour fêter notre dernier client à visiter, nous allons manger dans le resto le plus pourri de tout Uspantan. En fait Miguel veut découvrir la nourriture locale et on va manger au marché dans des conditions sanitaires qui là, il faut l’avouer, me choquent un chouilla. En plus on mange la même chose que la veille en beaucoup moins bon. Là nous arrivons à la fin de nos sous, rappelons nous la légère boulette, aucun de nous n’a de cartes de crédit. Pas non plus Miguel, c’est donc Marcos qui nous avance. Il nous quittera sur le chemin de retour à Sacualpa, ville de l’embranchement pour aller soit à Huehuetenango, soit à Uspantan à partir de Quiché. D’une aide précieuse, c’est certainement la personne la plus fiable et responsable que nous ayons rencontrée.

Nous rentrons à Quiché après trois jours démesurés. Nous n’avons pas eu une minute, même pour penser. Dans la voiture se mêlent réflexions et observations dans ma tête, la fatigue n’aidant pas. Ce matin, j’avais même du mal à profiter du décor tant j’étais occupé à organiser mes pensées. Parfois je m’arrêtais, levait les yeux et me forçait à apprécier, mais je devais me forcer. Trop d’expériences, d’informations se sont accumulés en quelques jours. Il nous faut beaucoup d’efforts pour retenir quoi que ce soit désormais. Heureusement, nous allons pouvoir nous reposer un peu. Certes, demain, nous avons une réunion, mais ça, avec les conseils de nos aieux, nous savons faire. Avec toutes les notes, il y a plus d’une semaine de travail, pour établir un bilan des trois projets, le mettre en forme, réfléchir aux solutions, les trouver, résumer tous les coûts, risques et revenus de chaque projet et produit. Ca tombe bien, parce qu’on n’a pas de temps et qu’il va falloir aller créer l’activité de microcrédit avec José, mais nous sommes quand même contents du travail effectué ces trois derniers jours. Nous n’avons pas une étude systématique et sérieuse par questionnaire de tous les gens qui ont participé, mais nous avons un bon panorama de tous les problèmes rencontrés et un taux de satisfaction sur un échantillon quand même très représentatif, de 100%, avec un taux de renouvellement de 100% en volonté, parce que il y a quelques groupes ou personnes dont nous savons que nous ne les reprendront pas.

Nous délaissons donc les hautes montagnes du Quiché et leurs panaromas sublimes de montagnes de verdures, et de maison où est écrit FRG.
« Miguel, que veut dire FRG ?
- Front quelquechose du Guatemala- révolutionnaire ? propose Benjamin
- ah non, voilà c’est Front Réformiste du Guatemala
- C’est un parti révolutionnaire ?
- Non, c’est un parti que dirige un général.
- Un général ?
- Oui, un qui est impliqué dans de nombreux massacres pendant la guerre.
- Ah, c’est un très bon général, ça.
- Oui, très actif. » Nous rions, mais cela montre encore que les accords de paix étaient surtout une armistice de la Guérilla. Elle, a été détruite, mais les hauts responsables de l’armée sont toujours là…

Nous arrivons à Quiché où nous dormirons. Après un petit échange de pensées sur la journée avec miguel, un passage au café internet et un repassage au café internet, parce que aujourd’hui j’ai du mal et que j’oublie tout partout, nous mangeons et allons écrire au son du doux ronflement de Miguel. Parfois, nous avons l’impression qu’il se fait mal, mais là, il s’est calmé, nous allons donc dormir.

2 commentaires:

nicolasmeunier a dit…

Ahah ahah, se moquer de ses anciens alors que vous avez arrêter la balade au quart du chemin ? Il y a des villages de montagne bien plus haut que El Desengano, notamment celui où nous avons pris la photo avec Loic et nos trois petits amis guatemalteques entre nous deux. (si vous voyez de quoi je parle). Et autant dire que le chemin jusqu'à El Desengano est une autoroute par rapport à ce qu'il y a après... Il faut passer de l'autre côté de la montagne en traversant directement les champs de Maïs car il n'y a justement plus aucun sentier ou presque... :-) Et pour le coup, ca glisse pour de vrai... surtout la redescente de l'autre côté. Allez-y faire un tour si vous y retournez, vous ferez moins les malins après ;)

Sinon, c'est trop de la balle... Ca fait vraiment plaisir de vous lire et de voir tout ce qui s'est passé depuis ce temps. J'en ai presque les larmes aux yeux ;)

Quand au Effé Erré RRRRRré (prononciation que je trouve funky pour FRG), nous avons nous aussi eu droit au topic sur l'ami Rios Montt, qui se présentait l'an dernier comme député dans sa région si mes souvenirs sont bons... Nous étions alors en pleine campagne éléctoral et il y a des trucks avec des pubs pour les différents partis partout dans le pays... Mais aussi des meurtres de personnes soutenant certains partis. C'était plutôt animée comme ambiance...

Que le vayan bien amigos, et que le Dieu de la pluie vous protège de ses foudres...

guillaume.virag a dit…

J´avoue que l'on se moquait gratuitement : j'ai relu le carnet de bord plusieurs fois et en fait c'etait bien expliqué !