Business Time

Lundi 4 Août 2008

Ce matin, je me réveille en pleine lumière. Un peu affolé car mon rendez-vous est à 8h, j’allume l’ordinateur et constate qu’il n’est que 7h. Il est vrai que le jour se lèvre vraiment tôt ici. Je prends tranquillement une douche chaude dans une chambre luxueuse où même la douche est occidentale. Je finis ensuite le remaniement des sollicitudes. Elles sont désormais plus compliquées, mais ce n’est pas plus mal. Cela va forcer les gens à se bouger et à réfléchir, ce qui est exactement ce que l’on souhaite. A terme, il me semble qu’il faudra faire des demandes différentes en fonction de la quantité d’argent prêtée ou du nombre d’année passée au sien de Maya Desarrollo.
7h57 : je quitte ma chambre et me prépare à rencontre Cristobal à 8h. Bien sûr, je sais que les gens ici sont systématiquement à la bourre, mais j’aime être à l’heure. Comme je n’ai pas réussi à le joindre hier, les téléphones ne captant pas à El Desengaño, je lui téléphone à nouveau ce matin. Impossible de le joindre avant 9h où il me dit qu’il arrive. Nous débutons la réunion par l’évaluation que nous avons faite du projet à El Desengaño. Cristobal est assez largement d’accord avec le fait qu’il a été à l’arrache et qu’il faut plus de sérieux. Comme je l’enchaîne sur ses autres projets, lui faisant comprendre que son village est ni plus ni moins qu’un bordel de projets, il m’explique un peu la situation. Les problèmes avec Miguel ont commencés avec le fameux projet d’arbres fruitiers. Ils ont fait une demande avec un projet, Armando a présenté l’affaire en France, obtenu les fonds et les a fait transférer chez Concodig, apparemment sur le compte de ASEDE. Après Cristobal n’en a pas entendu parlé, alors que le projet devait débuter en août avant un coup de fil de Armando lui demandant des nouvelles, lui répondant qu’il n’avait rien vu. Armando faisant pression sur Miguel, celui-ci finit par acheter des semences d’arbres fruitiers en novembre. Mais bien sûr il les distribua à l’arrache, chacune des communautés ne recevant pas ce qu’elle voulait, certaines refusèrent même les semences et tout finit en le bordel actuel où il y a quelques arbres fruitiers dans chaque maison. Je crois que je n’arrive pas à lui faire comprendre à quel point le projet était naze et surdimensionné dès la demande. Pourtant j’insiste, je lui fais comprendre qu’il a trop de projet, et que tous foirent. Là, je le conseille clairement dans sa gestion de sa communauté plus que son rôle dans notre projet, mais ça soûle que l’on se tue à essayer de faire comprendre aux gens qu’ils doivent être responsables et que de l’autre côté on balance des milliers d’euros sans contrepartie. A quoi ressemblent nos quelques quetzals face à cela ? Je crois que je n’obtiendrai gain de cause que pour notre projet. Il est plus que d’accord pour confier la responsabilité à Micaela, la responsable du groupe de femme. Seul problème, elle ne sait pas utiliser internet. Bon, on essayera de passer outre, vu la responsabilité dont elle faisait preuve quand nous l’avions vu, elle se débrouillera certainement avec un étudiant.
Cristobal tente de reprendre la main, ce qui me fait beaucoup rire : « nous sommes un peu désolé que vous ayez pris vos décisions sans trop nous consulter, de toute façon, il faut déjà que les gens soient d’accord pour refaire un prêt, que l’on sache ce qu’ils pensent du projet». Souriant presque, je le calme sur le champ « en ce qui concerne l’évaluation, je vous rappelle que nous nous sommes vu il y a une semaine. En ce qui concerne la visite des projets où vous, le responsable, n’étiez pas présent, nous avons bien sûr posé ces questions à chacun des clients du projet. Tous nous ont répondus qu’ils étaient satisfaits du prêt et voulaient en redemander un ». Ce sera son seul essai de reprendre la main.
Marcelino est également présent. Il fait partie du groupe de Cristobal et a utilisé le prêt pour financer ses études au lieu d’acheter une vache. Par ailleurs, c’est un proche de Cristobal. A El Desengaño, Marcelino, Cristobal, Anacleto et quelques autres font partie d’une association nommée B'e Saq ja'. Lui allume allègrement Concodig, et commence d’ailleurs par me demander si ce sont nos décisions ou celles de Concodig. Il balance également sur Marcos, presque intouché jusqu’ici. Il préviendrait d’un jour de visite et viendrait à un autre.Je leur explique qu’on n’a pas été beaucoup plus tendre avec Concodig dans nos décisions, mais que celles qui les concernent sont les nôtres. Je leur rappelle leurs erreurs qu’ils semblent avoir oublié, et en profite pour en rajouter une couche. Ils hochent de la tête, comprennent que je ne leur en veux pas mais qu’ils ne sont à mes yeux pas plus sérieux que Miguel et qu’ils ont à faire leurs preuves. Là, ils sont sur un projet de vendre des haricots français par le même bien que Anita Tum et Fransico Uz à Chicaman.

Nous ressortons tous d’accord sur l’attitude de sérieux à avoir, mais je suis un peu déçu. Oui, le projet de microcrédit sera mieux géré avec Micaela à sa tête qui n’a pas les 150 000 choses de Cristobal à faire. Mais El Desengaño va continuer à être ce bout de monde où viennent s’échouer toujours plus de projets. Les arbres fruitiers ont été un échec, leur école a 17 élèves pour 3 professeurs et plus d’argent pour payer les professeurs. Mais ils se lancent dans la culture de champignon et dans un projet de semence, parcourant encore cette semaine le pays pour accéder à quelques financements. Ils n’auront pas retenu grand-chose de ce que je leur aurais dit, si ce n’est qu’avec nous, la moindre erreur de gestion sera payée comptant l’année prochaine. Ca va leur faire tout drôle quand les autres associations vont se retirer une à une, mais le pire pour eux, c’est que je pense qu’ils continueront à trouver des financements. Plus de 500 000Qz ont déjà été gâchés rien qu’à El Desengaño.

Sur la demande de prêt, j’ai d’ailleurs rajouté une question concernant l’aide que les gens reçoivent d’autres associations ou programmes gouvernementaux. Car malgré tout, ces projets qui tombent à l’eau à répétition, ça pèse sur la mentalité des gens et va totalement dans le sens contraire de tout notre travail. Je leur donne 10 demandes, après être allé les imprimer, transfère leur photo pour les donner à Armando, ce qui me donne l’occasion de voir leur projet champignon. Ils en semblent fier mais c’est du grand n’importe quoi. Ils ont même piqué les souches à un labo ! Nous échangeons nos adresses et allons ensemble au parking de bus. Nous nous quittons. Dans l’affaire nous avons de plus en plus de gens à contacter un peu partout en cas de problèmes, c’est déjà ça.

Mon timing aujourd’hui est celui d’un homme d’affaire, ce qui normalement est impossible au Guatemala. A 11h55, j’arrive à Chicaman où j’ai rendez-vous avec Eliseth, nom à l’orthographe surprenante, notre potentielle nouvelle responsable de Chicaman. En arrivant je la vois et après qu’elle ait réglé une courte affaire, nous allons manger, au meilleur rapport qualité/prix de toute la région. 1€ le festin. Je commence par dire qu’on a besoin de responsables locaux fiables et lui cite tout ce que je n’aime pas ici, tous les projets qui ont échoués. Je sais pertinemment depuis hier qu’elle tient un petit rôle sympathique dans le fracassant échec des métiers à tisser. Je crois que ce sera compris ici. Elle me propose même de scanner les reçus. Je refuse, je préfère que les gens les gardent, nous les photocopieront quand ce sera utile, c'est-à-dire quand nous viendrons vérifier tout cela l’année prochaine. Elle, maîtrise toutes les nouvelles technologies, travaillant pour quelques associations où elle a beaucoup appris. Elle me conte son histoire, il ne lui reste que sa mère après la guerre, et me dit son respect pour Don Pedro, guérilléro qui aida la gens, et Concodig qui sont venus l’aider à la fin de la guerre. Au moment le plus difficile, je me permet néanmoins, du haut de mes 22 ans d’absence de toute expérience grave, d’attaquer sans attendre et Don Pedro et Concodig. Bien évidemment que nous respectons tous ces gens, mais aujourd’hui nous jugerons leur travail et nous le faisons déjà à la qualité de celui-ci. Sans remettre en questions la valeur des hommes, nous remettons en question leur capacité à gérer des projets. Et nous voulons des gestionnaires de projets, sérieux et responsables. Nous arrêterons de travailler avec quiconque manquera de sérieux. Nous ne plaisantons pas quand il s’agit d’aider les gens, tant l’aide peut se déformer en maintient dans une situation d’assisté, très mauvaise pour le développement de la personne.

Elle veut quand même au moins me faire quelques tirades larmoyantes. J’écoute donc l’histoire des femmes qui sont dans la misère, de elle qui fait beaucoup mais ne gagne pas grand-chose. Je l’arrête généralement très rapidement pour la rassurer, et parce qu’honnêtement je me fous de son discours. J’ai une claire idée de la situation ici, et si je suis ici, c’est bien pour aider, prêcher les convaincus, ça va bien cinq minutes. Nous paierons tous ses coûts et ses journées de travail, c'est-à-dire 1 à 2 par mois vu le nombre de groupe qu’il y a. Je lui donne 50 demandes à distribuer en lui disant que si elles sont bonnes mais que nous n’avons pas l’argent cette année, nous les accorderons plus tard. Si elle peut faire un prêt ? Oui, mais que son groupe soit exemplaire.

Je n’avais pas bien entrevu le grand avantage de cette nouvelle responsable. Travaillant dans une association de défense des droits des femmes, elle va nous fournir un accès privilégié à celles-ci. 300 potentielles clientes en perspective. Parfait, je rajoute donc des tirades honteusement scandaleuses, à tel point que j’ai du mal à ne pas rire en les disant. Bien sûr quand le projet se développera, nous aurons besoin de responsables pour gérer le tout à une plus grande échelle, nous jugerons alors ceux parmi les responsables qui se seront montrés les plus sérieux. En attendant, si nous voyons rapidement qu’on peut lui faire une totale confiance, nous pourrons lui donner le droit d’accorder des prêts pendant l’année en faisant remonter les demandes jusqu’à nous. La deuxième est plus sérieuse, mais je crois que pour la première phrase, je n’ai pu m’empêcher un sourire, aussi vite réprimé, tellement c’était un encouragement pour gamin à l’émulation.

En attendant, je lui dis que nous repasserons peut-être à Chicaman pour expliquer aux femmes qui auront fait des demandes ce que nous attendons d’elles, précisément. Je lui donne les demandes, et nous nous quittons. Elle me remercie grandement de continuer le projet ici, semblant avoir été quand même assez affecté par l’échec de certains projets à Chicaman, surtout que je ne me suis pas privé pour dire que les autres associations se retireraient sûrement au vu du manque de transparence de Concodig. Nous verrons ce qu’il en est, mais il est bien possible que Chicaman ne soit plus synonyme de trou noir d’informations et d’argent, mais plutôt d’exemplarité du projet.

En parlant d’exemplarité, quinze minutes après avoir quitté la demoiselle, voilà Fransisco Uz Cal, le paysan le plus sérieux du coin. On a beau dire que les femmes sont plus sérieuses en général que les hommes. Lui maîtrise tout le monde. Il nous a déjà appelé deux fois pour savoir quand nous passions renouveler les prêts. Là, il va m’accompagner pour aller distribuer les demandes, ce qui est précieux étant donné qu’il parle Quiché et Espagnol parfaitement.

Je ne vous ai pas encore présenté mon animal préféré du Quiché. Rouge et blanc, mesurant près de 2m de haut, large de plus d’un mètre et long d’au moins deux mètres, muni de ses trois courtes pattes rondes portant son corps à seulement une vingtaine de centimètres du sol, le tuk-tuk vit en ville, faisant quelques déplacements dans les environs, mais aime se regrouper avec les siens au parking de la ville. Sorte de pousse-pousse motorisé, il est le taxi local. J’en prends un pour la première fois, avec Fransisco, pour aller voir Anita Tum à Xecaguïc. Ce petit bolide, ayant -5* au crash test à l’avantage de passer partout. Nous allons donc sur une route perdue et finissons par atteindre la maison de Anita et sa mère. En chemin Fransisco m’explique qu’il lui faudrait son prêt très rapidement, je commence à saisir son empressement, les semences doivent être semés milieu août. Après avoir fait un petit laïus à Anita et sa mère, Fransisco l’entendra trois fois au total, je comprends que pour elles aussi, il faudra le prêt le plus tôt possible. Bon, nous verrons ce que l’on peut faire. A l’aldea puente seco, je vois le groupe de chicaman que je n’avais pas vu la dernière fois. Parfait, j’en profite pour prolonger ma visite d’évaluation. L’un des deux frères avait un projet d’artisanat. Youpi, c’est le premier que je vois qui n’a pas fait un projet agricole. En plus, il paraîtrait que cela lui a été très rentable. Laïus à nouveau et je comprends enfin leur empressement. Les semences se font du 10 au 15 août. Mais c’est qu’ils auraient pu le dire plus tôt les bougres. J’annonce donc que tous nos prêts pour des semences sont largement inadaptés puisqu’en septembre il fait trop froid pour semer. Ca c’est de la nouvelle. Bien sûr, je n’en avais eu aucun mot lors de la visite de contrôle. Je leur dis que le plus tôt que nous pourrons sera le 16 août puisqu’il faut aller chercher sylvain à Guaté. Beaucoup de choses s’accélèrent, et si ça continue, nous aurons fait beaucoup de travail avant même mon départ, ce que je trouve pas très drôle puisque j’avais prévu de faire mourir tania et sylvain. Enfin de toute façon, tania a 2000€ que l’on ne pourra, me semble-t-il, pas prêter avant son arrivée. Il restera tout de même Uspantan, ceux que je vois demain, Chicaman, certainement les femmes, Ixtahuacan, je ne pense pas y remettre les pieds, à moins qu’ils ne nous envoient leurs demandes rapidement. Ils auront de quoi faire un petit tour. Mais tout le reste sera plié. Finalement ça leur sera presque tranquille !

Je rentre à la ville avec Fransisco que je remercie de son aide et rentre en camionnette à Uspantan dans mon hotel de luxe, bien mérité après cette journée très remplie. Le réceptionniste qui m’aime désormais bien, lui ayant imprimé une photo de lui, me met dans la chambre n°1, c'est-à-dire avec bain. Avec la prépa, l’armée et toute ces choses, ça doit faire cinq ans que je n’en ai pas pris un. Je me réjouis à l’idée même dans prendre un. Mais avant, il me faut aller sur internet régler quelques petites choses, et comme le temps est mauvais et qu’internet est satellitaire, ce n’est pas très rapide. J’imprime également cinquante sollicitudes pour demain. Ca m’embête un peu qu’elles aient été autant faites au dernier moment, vu leur importance, mais elles ne me semblent pas si mal. Mieux en tout cas que celles que j’ai distribuées ce matin, m’étant rendu compte tardivement qu’un titre de haut de page était passé sur le bas de celle d’avant. Après avoir mangé de nouveau ce club sandwich de rêve, fait ce que j’avais à faire, notamment écrire, je me rends compte que je n’ai même pas encore pris de bain, alors qu’il est déjà minuit. Un peu déçu, je vais m’endormir, désormais trop fatigué pour en prendre un.

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