Panne de courant de manifestation

Vendredi 8 Août 2008

Hier malgré un lever tôt, je me reposai longuement. Joaquim ne pouvant se libérer j’avais une journée de libre. Ma première depuis une semaine et demie. Bien évidemment c’était la journée choisie par la municipalité de Santa Cruz del Quiché pour couper le courant toute la journée pour cause de maintenance. Comme j’avais laissé mes livres à Guatemala Ciudad sauf celui de Mathématiques, je dus me rendre à l’évidence et étudier un peu. Enfin, plus tard, l’électricité revenue, je pouvais enfin publier mes quelques expériences des jours précédents, mal écrites car je n’avais pu les écrire suffisamment tôt. J’ai notamment oublié de dire à nouveau à quel point la nature de Zacualpa était sauvage et douce. Enfin, c’était hier.

Aujourd’hui, lever un peu tôt. J’apprends que ma chance persévère ces temps-ci. Hier, je devais rester à Quiché et il n’y avait pas de courant, aujourd’hui je dois en sortir et il y a une manifestation. Bon. Ce n’est pas très grave. Joaquim arrive et nous partons. Nous marchons un bon km pour sortir de la ville et tombons sur un rassemblement de manifestant. Un tuk-tuk qui avait essayé de passer le barrage est en train de se faire retourner. J’hésite à prendre une photo. Je ne la prendrai finalement pas. Nous passons à travers le passage. Un pick-up nous prend et nous amène un peu plus loin. Deuxième barrage. Nous le franchissons à nouveau sous le regard des gens qui n’interviennent pas pour nous bloquer. Un deuxième pick-up nous amènera jusqu’à Chiche. Nous y déjeunons et partons pour l’aldea à laquelle nous avons rendez-vous avec dix personnes. Cette fois-ci, le conducteur n’essayera pas de nous demander 150Qz pour 4Km, 20 suffiront. Parfait. Nous arrivons un peu tard, il doit être 10h30 mais de toute façon nous ne visiterons que ce projet aujourd’hui.
En chemin, je parlais avec Joaquim. Il a fait les mêmes études que José, de travailleur social. Là, il est en stage dans une association qui s’appelle Save The Children. Je connais cette association aux nombreuses activités et aime beaucoup sa politique réaliste. C’est parfait que nous ayons un contact avec elle. Dans le futur ce pourra être vraiment intéressant de travailler avec elle au Guatemala. Je comprends également qu’il va me falloir clarifier la situation car je ne sais ce que pense Joaquim, mais peut-être a-t-il compris qu’on l’embaucherait à temps complet dès la fin de son stage. Je met fin à des espoirs démesurés et dit qu’il me faudra voir avec José comment l’on s’organisera. J’explique plus précisément notre situation en France et décrit notre association. Plus tard, il sera très surpris que je ne sois pas payé et qu’aucuns de nos coûts ne soit pris en charge. Une seule chose me déplaît assez fortement chez le monsieur : quand nous étions parti de chez José, il demandai à la bonne de la famille au moment où elle sortait, si elle était bien chez eux, comment elle s’appelait, ses coordonnées. Dans le second pick-up, il demandai à une personne, qui voyageait avec nous à l’arrière du pick-up, ses coordonnées, ses projets, etc … Cette sociabilité très avenante envers des femmes sélectionnées ne me plaît guerre. Avec les yeux de ma sœur je le juge et ça ne me plaît guère. Un coup de fil plus tard à une ancienne professeur et le ton suave clairement déplacé pour appeler un professeur installera une méfiance définitive dans ma personne à son égard. Enfin, ce n’est pas pour son goût pour les femmes qu’on l’emploiera mais je n’aime pas cela pour autant. Je perçois désormais dans sa volonté avant-hier de ne pas perdre la face, une volonté plus précise de ne pas perdre la confiance de quelques femmes.

Lorsque nous arrivons à Chiche, quelques personnes nous attendent. Nous allons nous installer derrière une tienda. Il m’a fallu une journée pour m’adapter à la situation des personnes qui pensaient qu’on allait leur prêter 2000Qz. Mais maintenant je suis prêt. J’accorderai certes quelques prêts de 2000Qz à Zacualpa, mais ce sera au prix de demandes assez sévères. J’ai déjà fait appelé les trois projets de vaches pour leur signifier qu’ils avaient deux semaines pour connaître le régime alimentaire d’un taureau pour le faire engraisser en 6 mois. Ici, l’attaque sera sévère. Je demande quelques mouchoirs étant malade, on m’amène un rouleau de pq. Comme j’assume désormais d’être le centre de ces réunions avec l’égo que tout le monde me connaît, je fais asseoir tout le monde à l’ombre, sinon ils seraient restés debout au soleil. Je jette un coup d’œil rapide aux sollicitudes devant les yeux de tout le monde pendant que les derniers s’installent et commence. Présentation comme à l’habitude et but de l’assoce : apprendre aux gens petit à petit à manager toujours plus de sous. Nous sommes une association pas une banque. Nous ne fonctionnons donc pas pareil. Nous ne demandons pas de garantie mais en revanche nous commençons avec des petits prêts. Ils seront donc peut-être déçus mais nous ne remettrons pas en question notre politique, elle est constitutive de notre statut. Notre faible taux d’intérêt nous implique d’être prudent. Ils essayeront ce qu’ils pourront mais je sortirai vainqueur de ce duel. Après leur avoir dit que leur caractère présélectionné, seuls les plus sérieux sont ici, leur permettra de passer au filtre de l’analyse avec plus de facilités, je leur rappelle que nous ne satisfaisons qu’une sollicitude sur deux. Donc que leur accorder le prêt sera déjà une faveur. Quand des gens m’expliquent qu’il leur faut absolument 2000, je leur réponds qu’ils peuvent demander, on leur refusera. Comment faisaient-ils avant ? Ils empruntaient, et ben qu’ils réempruntent mais avec l’argent de notre emprunt en moins.
Je ne peux m’empêcher d’esquisser un sourire de satisfaction, quand un à un, ils finissent par avouer que cela leur conviendra bien ici, ils seront déjà très content qu’on puisse les aider un peu avec un prêt à un taux aussi bas. C’est ce qu’il me semble aussi, mais l’effort déployé pour qu’ils arrivent à ce point de vue aura été énorme. Les premiers convaincus convainquent les derniers, et nous pouvons commencer à enregistrer les demandes de chacun sur l’ordi.
Le pire, c’est que si l’on avait suffisamment d’argent, ils ont des projets beaucoup plus fous que ceux pour lesquels on a accordé 2000Qz l’année dernière. La moitié sont des négociants et se refont certaines parties du corps en or 24 carats. Il y a au moins trois cas de personnes qui vont sur les marchés tôt achètent des bêtes et les revendent plus tard avec des bénéfices de l’ordre de 10% du prix, ce qui me fait assez halluciner. Un autre transporte du bétail sur 30km et fait aussi des gains d’environ 10%. On se croirait au moyen-âge. Enfin, nombreux sont ceux qui possèdent déjà une grande expérience dans l’affaire. Quelques uns, comme je le disais, pratiquent même régulièrement le prêt et dans un premier temps nous ne ferons que remplacer d’anciens prêteurs à 5-10% par mois. Les autres projets sont des projets d’engraissage de bête, il y a un charpentier qui voudrait s’acheter un gros outil qui lui permettrait des travaux qu’il ne peut faire aujourd’hui, et un commerçant qui veut augmenter le fond de commerce de sa tienda, celle derrière laquelle nous tenons notre réunion. Ce qui est bien, c’est que leurs demandes à 2000Qz se réduisent souvent assez bien, sauf pour ceux qui empruntaient déjà. Ils devront continuer à emprunter, mais en fait, ça ne me choque pas trop, beaucoup moins qu’hier, ce qui me fait penser que le cas des demoiselles n’est pas encore fixé.
Nous nous quittons, tout le monde apparemment assez content, moi plus qu’eux il est clair, mais quand même. Je reconnais que le travail de sélection de Joaquim était quand même assez fin, j’ai vu en deux jours des personnes avec globalement beaucoup plus de potentiel que nos communautés du Nord. Ce qui n’empêche qu’on va recaler tout le monde à Joyabaj, pour cause de trop de projets risqués. Nous avons fini à deux heures et Joaquim qui ne veut pas rester bloqué une deuxième fois dans un bled pommé me fait comprendre que nous rentrons. Nous mangeons un bout sur la place de Chiche pendant lequel je lui fais subir ce qui doit s’approcher d’assez prêt de l’entretien d’embauche. Depuis l’âge de 16ans il se spécialise dans le domaine du travail social. Il a beaucoup d’expérience en la matière, même en microcrédit, avec CARE, et maîtrise même de part sa formation quelques projets techniques comme la confection de costume. Son envie est de définir et gérer des projets. Je lui fais remarquer qu’en microfinance, nous jugeons plus les projets que nous les définissons, mais ça ne semble pas trop le gêner. A coté de ça, il possède déjà une librairie, veut en ouvrir une autre, ou un restaurant. Plus tard il veut lancer sa propre activité de crédit.

Nous rentrons en camionnette et je dors, m’étant levé un peu tôt le matin. Je passerai le reste de l’après-midi sur internet à parler avec quelques amis et à essayer de satisfaire les besoins démesurés en informations de mes anciens. Ceux-ci remarqueront la beauté du travail des 2006 qui ont établi 5 nouvelles communautés dans un mouchoir de poche. En ce qui concerne les coûts de tout cela, je dois avouer que l’on va scandaleusement faire du à la carte. On risque de payer très légèrement les coûts de Liseth à Chicaman, Micaela à El Desengaño, Fernando à Uspantan. Ce sont surtout les visites de Miguel et Joaquim qui vont nous coûter cher. Mais si les prêts sont remboursés correctement et qu’on fait comme si on était des mauvais économistes qui ne prenaient pas en compte l’inflation, les intérêts constituent un budget de plus de 10 000Qz cette année, ce qui devrait suffire à couvrir tout cela. Enfin la chose la plus tendue, ça va être de réussir à travailler avec Joaquim sans qu’il nous coûte trop cher. Mais ça, ça devrait se discuter dans les prochains jours. Pas aujourd’hui, quand je rentre, José n’est pas là.

Au moment où j’écris, quelqu’un essaye de rentrer depuis vingt minutes. Mais la femme de José ne lui ouvre pas. Je soupçonne un gosse rentré un peu trop tard. En plus il pleut dehors, ça doit faire une bonne leçon. La femme de José, dont je me rends compte que je ne connais même pas le nom, m’explique en souriant qu’il ne faut pas que j’ouvre. La chambre où je dors constituant la porte d’entrée, à environ un mètre cinquante de mon ordinateur se trouve la poignée salvatrice pour le pauvre exclu du domicile. Elle m’explique que c’est son mari qui a bu et comme cela ne lui plaît pas, elle ne veut pas le laisser entrer. A vrai dire, je trouve cela assez justifié, il va décuver plus rapidement sous la pluie. Bon il va tomber malade aussi, mais ça c’est autre chose. Quelques paroles d’homme vraiment ivre parviennent à mon oreille. Quarante-cinq minutes plus tard, il a réussi à se procurer des clés et rentre. Ebouriffé, il sourit néanmoins, apparemment pas trop mécontent que je ne lui aie pas ouvert la porte. Une démarche trahissant son état le mène à sa chambre où ses enfants dorment déjà. Il est vrai que l’on est vendredi soir mais je suis un peu déçu de l’attitude de mon hôte. Quel exemple pour ses enfants ! Je suis encore loin d’avoir compris ce monde.

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