Eclaircissements

Mercredi 13 Août

Deux jours sans écrire, c’est de l’ordre du scandale. Mais ça reflète assez bien mon inactivité du début de semaine. Mardi apprenant finalement que Miguel ne viendrait me chercher à Quiché que Mercredi, je continuais doucement mon rapport sur la politique de l’institut à la vitesse de l’escargot, passant une bonne partie de mon temps sur internet. Enfin, mercredi, je commençais à récupérer quelques forces et ma curiosité était la première de nouveau sur pied.
José n’était pas là en ce début de semaine, je discutais donc principalement avec sa femme. Elle a beaucoup de mal à lire ? Oui, il est vrai que dans de nombreux pays on apprend moins à lire et à écrire aux femmes qu’aux hommes. Ah le problème ici, c’était plutôt que son père étant mort à la guerre avec quelques uns de ses frères, sa mère avait quelques soucis plus urgents à régler que de les envoyer à l’école. J’avais oublié ce détail. Je ferai bien de m’en rappeler puisque dès que Miguel arrive, nous partons pour un enterrement d’une personne morte à la guerre, dont on a exhumé le corps presque laissé à l’abandon dans une tombe clandestine pour lui donner une sépulture plus digne.

Quand Miguel arrive effectivement avec un jour de retard sur le plan initial et seulement deux heures sur le second plan, je remercie la famille de Miguel et leur dit au revoir. De toute façon, nous nous verrons très bientôt. Quand nous arrivâmes avec Benjamin, nous étions plutôt surpris de ne pas avoir des déluges chaque journées puisqu’on était censé arriver en hiver. Après un nombre incalculable d’explications, j’ai à peu près compris qu’en terme de température il n’y a que trois à quatre mois de décalage avec nous, ce qui correspondrait à peu près au fait que je localise le Guatemala tout de même dans l’hémisphère Nord. C'est-à-dire que leur été à eux est de Février à Mai en étant large, et que leurs mois les plus froids sont comme nous en décembre et janvier. Mais apparemment la saison des pluies doit être calqué sur un autre phénomène, certainement de vent, et a son pic d’intensité en septembre. Et effectivement, alors qu’en juillet, nous étions plus ou moins épargnés avec des jours ou il pleuvait et d’autres noms, là on rigole un peu moins. Des litres d’eau s’abattent régulièrement sur la voiture et je bénit Miguel d’avoir mis du scotch sur le rebord du toit ouvrant : lors de notre premier voyage avec Benjamin, il pleuvait dans la voiture.

J’ai certainement omis de décrire le nombre élevé de glissement de terrains qu’il y a ici. On en vient à se demander comment il se fait qu’il reste encore des montagnes. Je ne sais en quoi est faite leur terre mais sur la route, faire un kilomètre en montagne sans en voir un est rare. Souvent ils sont petits, mais là on arrive devant un mur de 4m de terre, beaucoup plus efficace qu’un panneau stop pour arrêter la voiture. On est chanceux, il doit dater un peu, il y a une ouverture de deux mètres de large qui nous permet de passer. Pas très rassurés par ce passage qui nous semble peu sûr, nous le laissons vite derrière nous. Mais il est clair que le 4x4 n’est pas un luxe ici. Certes le fait que les routes soient si bien conçues qu’il y a facilement 20 à 30cm d’eau sur la route qui nous empêchent de voir la qualité de celle-ci. Mais on sent bien les quelques défauts du revêtement qui inlassablement essayent de faire battre les amortisseurs au même rythme que notre cœur. Et ils y arrivent plutôt bien, nous berçant avec la musique miguelienne tout le long du trajet. Je n’ai peut-être pas mentionné que miguel n’avait que trois cds de musique. Un de marimba, un d’un chanteur de variété et notre préféré à Benjamin et à moi, un de rock local dont au bout d’une semaine nous connaissions quelques paroles et airs par cœur à notre grand regret. Enfin, c’est bien le signe que je suis avec Miguel, tout va bien et nous finissons par arriver, un peu tard certes, mais sans soucis majeurs à une aldea, San Felipe, de Nebaj. Cette ville où nous ne travaillons pas est un peu plus au Nord de Cunen et de Uspantan. Miguel et même José y travaillent tout deux de façon régulière. D’ailleurs si j’avais su que c’était là, j’aurais pu aller voir le travail de José qui y était les deux derniers jours. Enfin, il ne faut pas trop en demander tout de même.

Dans la voiture, j’abordai, sorte de prémices à des discussions futures, les quelques points délicats de la gestion de Miguel des projets à Uspantan des autres associations françaises. C’était bien lui qui avait en charge la gestion de l’argent de deux projets au moins. En utilisant une fausse raison que Cristobal doit prendre ses responsabilités, je lui fais comprendre que ce n’est absolument pas à lui de gérer l’argent et qu’il devrait arriver directement des associations aux personnes qu’elles financent, c'est-à-dire Cristobal, au lieu de passer par Armando puis par lui, que je demanderai à voir Armando quand je rentrerai pour lui faire comprendre clairement qu’il faut arrêter de faire des tonnes de projets beaucoup trop gros où les associations ne savent en plus pas ce qu’il advient de l’argent. Il n’insiste pas sur mon argumentaire, percevant malgré l’absence d’attaques envers lui, que dans toutes mes critiques et mes propositions d’évolution, son rôle diminue. Enfin je lui suggère également qu’il devrait donner les comptes des projets aux associations françaises qui les demandent, à quoi il me répond que c’est parce que les comptes passent par Armando qu’ils mettent du temps à arriver en France au bon destinataire. Tout cela me rappelle une vague histoire de marmotte, de chocolat et de papier aluminium. Enfin de toute façon ce ne sont pas mes affaires et je le lui dis. Mais je lui dis également que ça nous embête clairement de nous dépenser en paroles et en énergie pour essayer de rendre sérieux et responsables les gens avec lesquels nous travaillons et que de l’autre côté il leur tombe des arbres, des semences, des formations du ciel, tout cela sans contrepartie, juste parce que M. Armando a trouvé quelques bons pigeons pour financer l’affaire. Là, il me suit beaucoup plus sur la critique du nombre de projets trop important qu’il y a, notamment à El Desengaño qu’il a beaucoup envie de critiquer. Enfin ce qu’il ne sait pas c’est qu’à notre prochaine discussion, j’essayerai de lui faire comprendre que lui n’a pas trop intérêt à accepter de nouveaux projets d’ampleur, sinon nous considérerons que le notre ne lui convient pas et prendrons les décisions qui vont avec.
Ne mettons pas la charrue avant les bœufs, cela sera pour une prochaine discussion. Là nous changeons de sujet et l’on planifie petit à petit nos prochains jours. Ah, au fait sylvain arrive vendredi à 4h du matin … De toute façon, je l’ai prévenu qu’il pouvait s’attendre à passer un court moment guatémaltèque à l’aéroport. Deux, trois heures, rien de plus.

A Nebaj, nous rejoignons Marcos dans la maison des frères et sœurs de celui que l’on va enterrer. Après un court dîner, la cérémonie catholique de l’enterrement à lieu. Marcos me dit que la cérémonie maya a eu lieu dans la journée. J’en veux un peu à Miguel, on était censé arriver hier pour la voir. Enfin, je commence par demander à Marcos et au frère du mort des explications sur toute l’affaire.
Cette fois-ci ça y est, je saisi l’affaire. En 76 la guerre reprend, elle avait du faire une petite pause. En 82 le charmant général Rios Montt fait un coup d’état et 200 000 morts. Mais lui s’occupait juste de pourchasser les gens dans les villes. Tout le monde s’est alors réfugié dans les montagnes. Après un an et demi de gestion de ce charmant général, un général plus doux fait un autre coup d’état. Et là la situation se calme, mais seulement dans les villes où les gens ne sont plus pourchassés. En revanche le champ de bataille se déplace dans les montagnes, où les militaires vont chercher les guérilléros, avec la stratégie dite du « je tue tout le monde, il y aura bien des guérilleros dans le tas », ce qui me rappelle le « brûler les tous, Dieu reconnaîtra les siens » du sac de Béziers. Comme quoi, il y a de fines stratégies militaires que l’on retrouve sur tous les continents. Enfin, les montagnes pleines à craquer ont subi la guerre jusqu’en 89 censé être un premier cessé le feu, autant dire jusqu’en 94 au moment où la signature des accords de paix était vraiment à l’ordre du jour. Du coup, si la situation était effectivement un peu plus calme à partir de 84 dans les villes, ce n’était pas le cas dans les montagnes, où s’étaient réfugiées des milliers de personnes.

J’en profite pour me faire confirmer quelques faits. En premier lieu, les gens avec lesquels nous travaillons n’étaient pas des guérilléros quoique veulent bien me dire mes anciens. Marcos et Miguel se sont plutôt tenus tranquilles et ont certes soutenus la guérilla mais doucement. En revanche Armando c’est une autre affaire. Et le frère du mort lui était de la guérilla et me dit de nouveau que dans tout le Quiché, il n’y avait pas plus de 3000 guérilléros. La guérilla n’a clairement jamais du être très puissante dans ce pays contrairement au Nicaragua, Cuba ou en Colombie. Enfin l’histoire du frère du mort n’est pas bien drôle. Le mort n’était pas de la guérilla mais le frère si et pourtant alors qu’il rentrait dans sa montagne, le mort s’est fait torturer pendant des heures avant de se faire tuer de six balles, le tout pendant que le frère attendait non loin de là sa libération sachant qu’il avait été pris par l’armée mais qu’il n’avait rien à se reprocher. Il a finalement récupéré le corps et l’a enterré rapidement. J’apprends également que son père est disparu mais que dans son cas, ils n’ont aucune idée de ce qui lui est arrivé malgré une certaine certitude quant à son état actuel et la raison de celui-ci. A force de m’insurger contre la fatalité de ces gens, j’ai peut-être oublié de dire à quel point ils avaient quelques raisons de l’être. Il n’y a pas une seule personne que j’ai croisé ici qui n’ait perdu un frère ou un père, c’est juste impressionnant. Marcos : un de ses frères au moins est mort, Miguel même chose, Armando c’est une bonne partie de sa famille, Eliseth toute sa famille, la femme de José son père et quelques uns de ses frères, José un de ses frères également. Pas une seule personne du Quiché rencontrée qui n’ait perdu quelqu’un.

La cérémonie catholique a ensuite lieue. Celle-ci consiste en une suite de chants, de prières et de discours des frères et soeurs, des associations qui les ont aidés, le tout formant un méli-mélo auquel j’accorde peu de charmes. Du discours politique qui ne me semble peut-être pas dans le ton au « mourrons, pour vivre » d’une chanson à moitié religieuse, je ne partage guère les méthodes locales de recueillement. Marcos, Miguel et Arturo qui doivent avoir leur dose de cérémonies discutent tranquillement dans une pièce un peu retirée tandis que je cultive ma curiosité en regardant cette cérémonie. Acceptation du sort que dieu leur a donné et discours politiques s'enmêlent en quelque chose d'un peu spécial. Quelques politiques ont fait comprendre à ces populations qu’ils leurs fallaient exiger des droits. Ils ont malheureusement oublié de préciser qu’il leur fallait se donner des devoirs et que c’était surtout cette seconde condition qui était la clé de la liberté et du développement.
Finalement se termine cette cérémonie culturellement intéressante et il est vrai émouvante, tant je m’attriste pour cette personne dont le frère est mort alors que sont but à lui en tant que guérilléro était de protéger les populations de l’armée. Nous allons nous coucher un peu tard, vers 1h alors que l’enterrement doit avoir lieu demain à 8h. Nous dormons dans la pièce adjacente à celle du cercueil. Avant d’aller me coucher, je l’observe une dernière fois. Symbole de la jonction locale du catholicisme avec la religion maya, la pièce est recouverte d’aiguille de pin où prennent place à des endroits bien précis quelques bougies. Par terre, des braises dans un petit plat en fonte apportent leur lot de fumée. Au-dessus le cercueil précédé d’une croix où est inscrit le nom du mort. Je ne suis pas bien religieux, mais même mort, celui-ci sera quand même bien mieux dans un cimetière que dans une tombe oubliée. Le travail de Concodig permet certainement à ces gens d’aller de se tourner vers l’avenir et cela me paraît indispensable. Allons Dormir.

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