Coûts importants, clients énervants.

Samedi 9 Août 2008


Ces derniers temps, je suis un peu malade. Disons que le fait que je n’ai amené qu’un seul pull léger n’y est pas pour rien. Du coup sortir du lit est une action sur laquelle je me pose plus de questions que d’habitude. J’allume mon ordinateur pour avoir l’heure : 7h28. Comme on ne doit partir qu’à 7h ce matin, je ne m’affole pas. Je prends ma douche, vais discuter avec José à la cuisine, finit de manger alors que Joaquim arrive. La discussion avec José ce matin porte sur trois choses. Quelques petites commémorations du passage d’une heure bourré sous la pluie. Mais il en sourit plus qu’il n’en veut à quiconque. Ensuite le sujet de Joaquim. Point un tantinet délicat. Je me rappelle avoir précisé dans trois mails que notre budget ne dépasserait pas 1000Qz par mois, mais Armando est passé derrière mois et notre budget a augmenté jusqu’à 2500Qz par mois. Je sais que Joaquim coûte plus de 3000Qz par mois et même plutôt 3500Qz et je sais qu’il n’acceptera pas un temps partiel. J’essaye de savoir si José en aura besoin pour d’autres projets de son association, mais l’activité m’a l’air légère ces derniers temps. De toute façon, je ne sais ce qui s’est dit entre Armando et lui, mais Joaquim a clairement été embauché pour l’activité de microcrédit, d’ailleurs il en a clairement le profil, avec son expérience à CARE. José me dit qu’il s’occupera de combler ce qu’on ne peut pas payer, mais il pense que nous payerons 2500Qz par mois. Je lui fais comprendre que notre budget se situe beaucoup plus entre 1000 et 1500. Erreur de ma part, il comprend bien évidemment 1500. Depuis le temps ici, j’aurais quand même pu apprendre à ne plus donner de fourchette ! Enfin de toute façon, on aura du mal à descendre en dessous, parce que là l’assoce de José va payer pour plus de la moitié de son salaire, alors qu’il ne va s’occuper que du projet de microcrédit. Comparé à ce qui était prévu, nos coûts viennent de prendre 50% d’augmentation, mais notre activité 400%. Cependant, à ce moment là, je me remémore le commentaire de Nicolas demandant si nos coûts ne vont pas beaucoup augmenter avec tous ces responsables, tu parles, ils ne vont même pas représenter 10% de nos coûts ici.
Nous laissons cette partie de la conversation là, mais je sais très bien que sur le projet de José, nos coûts sont surdimensionnés par rapport à l’activité. Ca fait effectivement deux mois que je dis qu’avec moins de 10 000€ pour le projet avec José, ça va être tendu, et ça l’est, vu que l’on a pas réussi à démarcher suffisamment avant l’été. Mais bon, ça peut passer. Je me dis qu’en augmentant la rotation du capital, i.e en faisant enfin marcher l’accord de prêt à distance, on devrait pouvoir s’en sortir. Autre point de la conversation, José me dit qu’il a vu une personne de CARE, qui lui disait que notre taux était bon, mais que c’était très dangereux de travailler sans garantie, et qu’en fait beaucoup de gens pouvaient fournir une garantie ici. Il est vrai que depuis quelques jours, je sens qu’on est moins bien adapté au public d’ici qu’au public du Nord. Les revenus sont plus importants, entre 1000 et 2000Qz/mois contre environ 500 voire moins à Ixtahuacan. Mais je reste ferme sur quelques points de politique : pas de garantie, remboursements mensuels, débuts à 500Qz (presque sur ce dernier point). On les remettra en question plus tard, là ce n’est pas trop le moment.

Nous partons avec Joaquim. A Chinique nous travaillons encore dans une aldea assez pommé, ce qui fait 70Qz le trajet. Quand on est habitué au 7Qz les 50Kms, 70 les 10 ça fait assez mal. En arrivant, José me demande si je vais annoncer comme la veille que nous ne prêterons que 500Qz. Je crois qu’il n’a pas encore tout compris lui. Bien sûr, c’est notre politique. Ceci dit, je comprends son embarras, ça ne va pas lui faire une bonne politique. Nous nous installons sur une terrasse avec une vue sublime, et donc beaucoup de vent, ce qui, je le sens, va définitivement parachever la victoire de la maladie sur mon corps. Enfin, allons-y. Je commence tranquillement et j’embraye assez fortement pour passer de la 1ère à la 5ème. Forcément, ça ne passe pas, ils n’ont pas bien compris le passage où je dis que nous ne prêterons pas plus de 500Qz. Je me fais traduire. Sourires ironiques dans la salle, blagues du style, je vais m’acheter un pauvre porc avec ça. J’ai envie de dire que si eux ça ne leur convient pas, on a une liste d’attente assez longue, que ce n’est pas mon problème s’ils ne comprennent pas ce qu’ils ont à y gagner, que s’ils ne veulent pas participer, il n’y a aucun souci pour nous. Nous sommes là pour aider ceux qui se montreront responsable et volontaires. Et en fait, je le dis. Même plutôt deux fois qu’une étant donné qu’une dame me reprend en me disant qu’elle ne peut pas travailler avec ça. Ecoute mami, vu ton âge, t’as du bien te débrouiller avant, donc là tu fais avec un peu plus en disant merci et tu la boucles. Bon ça je ne le dis pas mais le pense très fortement. Finalement 10 personnes quitteront le projet aujourd’hui, on a du y aller un peu fort. Mais j’avoue que je ne les retiens pas, n'ayant aucune envie de justifier le fait qu’on accorde NOTRE argent avec NOS conditions. J’ai l’impression ici que Dieu se fait engueuler si un jour il prend des vacances. « Eh bobby, c’est ton job de nous aider, qu’est-ce que tu fous ? ».
L’année dernière Nicolas et Loïc avaient eu quelques problèmes à Ixtahuacan parce qu’on avait expliqué le principe avant eux et que c’était loin de ce qu’ils voulaient. Nous on a fait beaucoup plus fort : c’est à des années lumières. Comme je le disais plus tôt le 500 à 2000Qz s’est transformé en 2000Qz systématiquement. Mais surtout ce qui me pèse un peu, c’est qu’au lieu de demander à pleins de gens, ils ont sélectionnés quelques personnes. Ca, ça va clairement se revoir : la sélection c’est au moment de l’analyse de la sollicitude, pas avant. Là, les cocos, ils arrivent tous mains en poche du style « le frenchie, elle est où la tune ? ». En gros, dans chaque villages où nous sommes allés, nous accepterons toutes les sollicitudes. Bon, sauf qu’on a fait du tri en direct et qu’à Joyabaj on va renvoyer tout le monde pour réécrire une sollicitude parce qu’ils nous ont raconter du pipeau et que je ne vais pas me priver d’en profiter pour renverser clairement les rapports de force. Notre ami Jim (désormais surnom de Joaquim, c’est mieux), je ne sais pas s’il a voulu se faire passer pour l’archange Gabriel, mais là le rapport de force me semble systématiquement dans le mauvais sens. Bilan : à Joyabaj on va le renverser sévèrement pour tout le monde au risque de tout faire planter, à Zacualpa j’accepte ma défaite mais pose les conditions de l’armistice, à Chiche les gens ont accepté une remise sur pied d’égalité, et à Chinique 10 personnes en moins qui s’ils reviendront seront dans une position beaucoup plus délicate et 10 personnes qui comme à Chiche reviennent sur un pied d’égalité. Enfin ça me fait halluciner qu’on soit sur un pied d’égalité, qui finance ici ? Bon demain, je sens que les derniers regretteront de l’être. Et j’ai ma petite idée sur comment augmenter le budget du sieur Joaquim. Je sens que je vais lui refourguer le groupe miguelien de Zacualpa. En plus ça concentrera l’activité, ce sera très bien.

Bon, nous parlons avec les huit qui sont restés , en fait dix, deux finirons par changer de décision et revenir travailler avec nous. Cinq sont dans une très grande famille de 13 enfants. Leurs projets ne sont pas très folichons mais leurs revenus sont effectivement largement au dessus de ce qu’il est nécessaire pour rembourser un prêt de 500Qz. En vrai, je pense qu’il est même stupide de leur proposer un prêt aussi bas, mais je tiens à ce qu’ils montrent qu’ils sont motivés jusqu’à faire un prêt qui ne sert à rien pour simplement poursuivre le projet. Et surtout, je veux donner quelques règles de base à l’ami Joaquim qui ne me semble pas encore avoir tout compris, mais un long recadrage va s’imposer en tant qu’analyse de ces visites. Quelques projets de commerce relèvent le niveau. Je fais remarquer à une madame qui me demandait 2000Qz pour un taureau et finalement me demande 500 pour augmenter son capital de commerce que dans le premier cas, elle faisait un bénéfice de 1000 sur un an, dans le second un bénéfice de 1000 par mois. Bien sûr je n’ai pas valorisé ici son temps de travail, mais même ça n’a vraiment rien à voir. Clairement convaincue par ce que j’ai dit, elle me dit qu’elle s’achètera un taureau avec les bénéfices. Bon je ne m’arrache pas les cheveux et continue. Beaucoup veulent acheter des animaux. En pleine préparation du Statement of Purpose (une lettre de motivation compliquée que demandent les universités us), j’ai un peu amélioré les demandes. Quelle est votre expérience ? Qu’allez vous faire avec le prêt ? Comment utiliserez-vous vos futurs prêts ? ne sont que trois des quelques quinze questions qui constituent désormais les demandes. La dernière me plaît beaucoup, elle montre un peu le potentiel des gens, quasi nul dans la plupart des cas. Mais ça permet aussi de discerner ceux qui veulent rester dans un modèle de ferme multi produits de ceux qui cherchent à se spécialiser un peu. D’ailleurs, il sera très intéressant dans le futur d’établir une politique différente entre ceux qui cherchent juste à augmenter la diversité de l’orchestre symphonique qui leur sert de basse-cour et ceux qui cherchent réellement à construire un projet. Vous comprendrez que ma préférence va aux seconds, peu nombreux. Un monsieur, le père des 13 enfants sort du lot, non par son projet, mais par sa vision et les données très précises qu’il a. Il adapte même la quantité d’engrais qu’il utilise en fonction de la météo, ce qui n’est pas courant ici. Ce qui est bien, c’est qu’on pourra compter sur lui pour mettre une bonne pression sur les gens ici.
En plus, ce qui est bien c’est que ce monsieur sait vivre. En plus de nous avoir offert une collation pendant que l’on travaillait à essayer de comprendre les projets des gens, il nous offre également le déjeuner. Nous le remercions et repartons pour 50Qz avec un autre demandeur de prêt. Encore un exemple à la Ernesto qu’on est trop gentil avec les gens. J’ai une envie folle de demander aux prochains clients de venir en ville pour demander un prêt, tellement ça m’énerve de voir qu’ils ne seraient pas prêts à faire le moindre sacrifice pour qu’on les aide. Je comprends qu’on ne nous accueille pas en libérateur, mais ils pourraient trouver un juste milieu tout de même. Nous rentrons encore une fois tôt à Quiché, ce qui va me permettre de me reposer un peu. Je passe au café internet mettre à jour le blog, et même chose rarissime jusqu’ici, jouer un peu. Quand je rentre, je parle un peu avec José de ce que cela m’a perturbé de voir les exigences des gens à notre égard. Il a l’air de comprendre et ce sont clairement les jalons d’une prochaine mise au clair de la stratégie d’approche des clients : rigueur et fermeté. On ne veut voir que des gens motivés, et après on les sélectionne. Les cracheurs professionnels, qu’ils se débrouillent avec leur soupe. Malheureusement José doit partir faire l’inventaire de la tienda étant donné qu’ils la vendent demain et je ne peux poursuivre longtemps la conversation avec lui.
Comme j’ai un peu de temps seul, je me penche sur les possibilités financières du projet. Sachant que j’ai récemment divisé par quatre le budget du projet ici, vu qu’il n’y avait que des prêts de 2000 qui sont soudainement passés à 500Qz, il ne reste que 30 000Qz de prêts dans le projet géré par Jim. A l’inverse Ixtahuacan risque de monter à 40 000Qz de budget, Chicaman dans les 30 000 également. Du coup, on va avoir pas mal de rentrées d’argent chez Miguel, s’il ne pique pas tout, et beaucoup de coûts chez José. Avec une rotation du capital parfaite, c'est-à-dire que chaque mois nous avons zéro sur le compte, il nous faudrait 107 000Qz de prêts pour que les intérêts payent 1500Qz. Avec des prêts tous les trois mois, c’est plutôt 115 000Qz. Bon bien sûr, tout ça c’est si tout se passe bien. Mais avec un suivi mensuel, il n’y a pas de raison qu’il y ait des défauts majeurs de remboursement. Enfin dans l’histoire, il faudrait quand même que le projet grossisse de quatre fois. Ce qui est jouable. Certainement le x2 sera réalisé cet été en rapatriant le projet de Miguel de Zacualpa, en faisant tourner un troisième groupe potentiel à Zacualpa et en disant suffisamment tôt à Joyabaj qu’ils feraient mieux de revoir leur copie. Ensuite, d’ici trois mois nous pourrons réinvestir 30 000Qz des remboursements qui auront eu lieu en procédant à un petit virement du compte de Miguel vers le compte de José, ce qu’il va falloir faire gentiment passer. Enfin tout cela est technique mais jouable sans même plus de fonds. Il faut dire qu’on va aussi profiter de l’absence de coûts majeurs avant Novembre, fin de la période stage de Jim. Et comme j’ai mis la première visite de Miguel en janvier, ça ne fera pas trop de coûts non plus.
Avec un réinvestissement des prêts tous les trois mois, on dégage 5600Qz d’intérêts tous les trois mois, 4500Qz pour Jim et 1100Qz pour le reste. C’est un peu déséquilibré, mais ça devrait valoir le coup. Après si bien sûr on augmente le fond pendant l’année, il est clair qu’il n’y a plus vraiment de problèmes. Enfin, je finis par quitter tous ces calculs qui demandent encore quelques clarifications et vais regarder un peu la télévision avec les enfants, ce qui n’aide pas trop à la compréhension. Après un film pas génial, je préfère aller écrire ma journée et me coucher.

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