Enterrement

Jeudi 14 Août

Nous nous levons dans la même ambiance. La famille et les amis se réunissent peu à peu dans la maison avant d’aller à l’église. Même les enterrements ont deux heures de retard ici. En attendant, nous discutons avec Marcos. Celui-ci m’explique ses connaissances et recherches en matière d’énergie. Si je n’adhère guère à certaines explications, je m’intéresse beaucoup plus à ce qui me semble tenir de l’expérience orale et de la connaissance pratique de la nature. J’accorde décidément beaucoup de crédit et de confiance à cette personne. Bien sûr il est certainement incapable de gérer une organisation, ses compétences ne le lui permettant pas. Mais en tant que responsable de communauté, sa prestance impose une nécessité le sérieux comme valeur, et en tant que responsable d’association, son œil acéré et sa fine perception des gens et des situations est d’une grande aide pour clarifier une situation rendue floue par des conditions humaines identiques en apparence. C’est décidemment la personne avec laquelle il faut commencer son séjour au Guatemala.

Vers 10h, nous commençons à nous diriger vers l’église. Une courte cérémonie nous y accueille, la grande était la veille. Encore une fois, cette petite église colorée aux couleurs locales me rappellera la différence vive entre la foi des éduqués et la foi des miséreux. Un de mes proches amis trouve que les cathédrales françaises sont bien tristes et tellement moins belles que les dômes italiens ou les églises pittoresques et colorées d’Europe de l’est. Pour ma part, Notre Dame de Paris est la plus belle cathédrale du monde. Il paraît qu’elle était colorée avant, elle me semble bien mieux ainsi. Le corps s’y repose dans une atmosphère sobre tandis que l’âme attirée par les élancements vertigineux de l’architecture essaye désespérément d’aller découvrir les détails de la voûte céleste. Ici, couleurs et bas de plafonds me font dire que la religion n’est pas un horizon de valeurs éternelles mais une sorte de contrefort et de justification de l’horizon de misère et de fatalité de ces gens. « Tristement, nous avons vécu, tristement nous mourrons » chantent les gens après le tube décidément récurrent du «pourquoi mourir ? Dans le but de vivre ». Vivez et mourrez dans la tristesse, un monde meilleur vous attend après.

Nous arrivons au cimetière après une quinzaine de minutes de marche. Pas très dérangeantes pour la végétation locale, quelques croix et plaques de béton luttent sans espoir de victoire face aux nombreuses plantes qui les assaillent. Là discours, chants et pétards reprennent leur manège. Je ne sais pourquoi, mais une coutume locale encourage les enfants à infliger un test d’audition chaque fois qu’une cérémonie ou fête a lieu. C’est bon, je vous promet on entend tous très bien, pas besoin de remettre une deuxième série de pétards. Si ? Ah une troisième aussi ? Quatre ? Finalement, la cérémonie se termine sur une distribution générale de rafraîchissement. Nous partons, en emmenant avec nous une fonctionnaire du ministère de la culture qui sera l’occasion d’une longue conversation au début du voyage. A Zacapula, nous laissons Marcos qui rentre à Ixtahuacan.


Agréable surprise, à Quiché, nous croisons par hasard Eliseth et mangeons donc avec. C’est parfait car cela me fournit les sollicitudes et force Miguel à me donner une réponse claire à la question « est-il possible de retourner dans le Quiché dès le 16 ». Bon certes la réponse viendra un jour et demi après la question, mais quand même, tout cela avance drôlement bien, je me demande ce qu’il restera à Tania et à Sylvain après mon départ. Enfin, le moins il leur en reste, le mieux c’est. Il vaut mieux partir avec du travail en avance, qu’avec du travail en retard. Je demande à Eliseth si elle a eu quelques soucis avec les anciens groupes. Aucun ? Pas même avec Anita Tum ? Léger sourire, mais non, ils sont tout à fait prêt à travailler ensemble. Et bien, nous allons voir ce que cela donne à l’année. Assez intelligemment elle a compris que je n’accepterai pas beaucoup de prêts et nous a donc fourni peu de sollicitudes. C’est parfait puisque je n’aurai pas à lui expliquer que nous ne voulons pas lui donner trop de groupes pour voir comment elle déjà elle va gérer son affaire. Mais en fait, je lui ai déjà dit, je m’en rappelle maintenant. Elle a sûrement voulu s’éviter un mécontentement général avec un refus de prêt pour vingt personnes. Je pense que c’était assez judicieux de sa part en fait. A Uspantan où l’on va calmer du monde, on aura intérêt à faire preuve du plus grand tact. Je lui signale donc, histoire de ne pas faire oublier notre sévérité, que si les demandes sont refusées, c’est vraiment qu’elles ne sont pas bonnes. Et lui rappelle en disant que son choix était judicieux de ne pas demander à trop de groupe malgré la pile de sollicitudes que je lui avait laissé, qu’ainsi nous pourrons juger de son action, elle juger de son temps libre, et tous, voir la quantité de travail que nous pourrons effectuer ensemble.

En France, nous avions rencontré les responsables de terre ouverte qui nous avaient un peu torturés sur la question de la légitimité du jugement. Je ne me souviens même plus de comment nous nous étions défendu, aujourd’hui, j’ai une claire idée de la réponse. Bien sûr nous les jugeons et nous leur apprenons même à se juger, condition nécessaire du progrès. En France, pour des questions de racismes, et « d’ouverture d’esprit », il est aujourd’hui presque interdit de juger. Stupide croyance que l’absence de jugement nous protégera de ces démons odieux. Pourtant cette absence, loin de nous protéger nous laisse au contraire en proie à nos réflexes qui eux sont racistes et discriminatoires. L’affinement du jugement des gens, en leur faisant ressentir la façon dont nous, nous évaluons et jugeons leurs projets et leur façon de travailler, c’est notre but ici, c’est ce que nous leur apprenons. Evaluer un projet, juger de sa rentabilité ou non. Pour nos responsables, leur faire comprendre que nous les jugerons à leur sérieux dans leur travail, en expliquant ce que cela veut dire pour nous, c'est-à-dire pour les occidentaux, qui , qu’on le veuille ou non, fixent aujourd’hui les codes internationaux du travail.


Nous la quittons, ce qui donne encore lieu à une scène de remerciements de sa part. J’ai idée qu’elle comprendra un jour que c’est son sérieux et le développement visible des populations qu’elle aide qui fera que les associations continueront à travailler avec elle. Mais elle a été visiblement un peu traumatisée par le départ des autres associations françaises de Chicaman et nous remercie chaleureusement. J’ai bien peur que cela ne change pas beaucoup les décisions que nous allons prendre. Enfin, qu’elle ne s’inquiète pas, rien de grave si elle gère bien son affaire, ce qui ne me semble pas trop mal parti. La route jusqu’à Guaté se fera sans soucis, à quelques glissements de terrains près, dont on ne remarque plus la présence tant ils sont réguliers.

Lorsque nous arrivons, je retrouve joyeusement toute la petite famille de Miguel et TeleNovellas, la chaîne de télévision préférée des femmes de la famille. Décors en carton, musique en bois, acteurs en papiers, dialogues du type « Non, tu crois vraiment qu’il a pu tuer le frère de sa belle sœur parce qu’il les avaient surpris ensemble ? Oui, je te le dit, c’est un être maaaalééééfiiique ». Enfin, je suis content de revoir tout ce petit monde et j’apprends à jouer au démineur aux membres masculins de la famille. Un peu dégoûtés parce que je viens d’établir mon nouveau record personnel sur pad en 7s, ils essayent de jouer rapidement et galèrent un peu. Nous finissons par aller dormir, demain sylvain arrive à 4h à l’aéroport, cela veut dire qu’il faudra se lever au plus tard à 6h.

Aucun commentaire: